“ Retrouvé mort dans "les broussailles au haut du gouffre" de la forêt du Huelgoat, le 23 mai 1919, Victor Segalen gisait là depuis deux jours, le pied gauche profondément entaillé, ayant perdu beaucoup de sang, la tête posée sur son manteau plié, les yeux grands ouverts, avec à portée de main une édition d' Hamlet . Il avait quarante et un an. Cette fin solitaire, et comme mise en scène, devait ajouter pour longtemps un surcroît de mystère à une existence qui apparaissait déjà saturée d'aventures et de découvertes, d'intuitions et d'errances. À l'image de Rimbaud, dont il avait très tôt repéré le parcours d'adolescent foudroyant-foudroyé, Segalen avait rejoint d'instinct le sillage de ceux, très rares, qui entendent forcer leur propre destinée en prenant le pari de l'inconnu, de l'ailleurs, jusqu'à risquer de ne s'accomplir qu'en catastrophe, et pas seulement par l'écriture. Avec lui le monde, mais sur un mode plus ...