Quand j'étais enfant, vers mes huit ou neuf ans, j'avais terriblement peur de la mort. Une angoisse me prenait, à chaque fois que je me mettais à songer à ma fin, et à celle des personnes que j'aimais. Ne croyant déjà pas en Dieu, j'étais persuadé qu'une fois mon temps écoulé j'allais plonger dans le néant. Ou, disons, y replonger, puisqu'avant de naître je n'étais déjà rien. Comme une flamme qui apparaît un court instant, puis s'éteint, en quelque sorte.
En grandissant, ce sentiment persistait. Je ne comprenais pas comment les hommes pouvaient continuer à vaquer à leurs occupations, sereinement, sans affronter cette réalité terrifiante. J'en voulais à ce “peuple invisible d'aveugles éternellement entraînés à l'objet immédiat de leur vie”, comme le décrit si bien Paul Valéry. Surtout, je ne parvenais pas à concevoir qu'ils se préoccupassent de choses si futiles. Sur le moment, je souhaitais qu'ils prennent enfin conscience du péril qui les attendait. Je me disais : “pourquoi les hommes ne travaillent-ils pas tous ensemble, de concert, à vaincre la mort ? Qu'attendent-ils donc ?”. Tous les hommes devaient à mon sens devenir scientifiques, et s'évertuer (c'est le cas de le dire) à trouver un moyen de prolonger la vie autant que possible.
Vertige de la mort
Peu à peu, je parvins à calmer mes angoisses. Mais je cessais surtout d'affronter la pensée de la mort. Dès qu'elle s'insufflait, je la chassais immédiatement. Comprenant instinctivement, sans doute, que “le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement”. Je haïssais Epicure qui affirmait tranquillement : “la mort n'est rien pour nous, car lorsque nous existons la mort n'est pas, et lorsque la mort est nous n'existons pas”. Je crois d'ailleurs que c'est la phrase la plus stupide jamais écrite par un philosophe. Et en particulier par un philosophe prétendant guérir les hommes de leur crainte. Puisque l'angoisse de la mort naît justement de ce rien là. Qui n'a rien d'insignifiant.
Je me rassurais ensuite en découvrant Kierkegaard, et le concept d'angoisse : “la raison de l'angoisse n'est pas moins l'œil que l'abîme”. Ainsi, comme pour le vertige, le meilleur moyen de ne pas perdre pied consiste simplement à ne pas regarder.
“Croyez-moi, on a presque toujours quelque chose de mieux à faire que de mourir.” Jean Anouilh
La vie continuait. Adrien me conseilla de lire Irvin Yalom, ce que je fis. Je découvris un auteur passionnant, qui prenait le temps de réfléchir à la mort, tout en reconnaissant qu'il était impossible de l'affronter de face. Mais le titre de l'ouvrage me déplaisait quelque peu - Le Jardin d'Epicure - et je compris vite que cet auteur n'apportait pas de grandes consolations.
Des scientifiques californiens à la recherche de la vie éternelle
Le six septembre dernier, un lundi, je découvris, dans un dossier publié par le journal Le Monde, que des autodidactes californiens - s'étant baptisés la “Life extension community” (communauté pour l'extension de la vie) - menaient en ce moment même des recherches scientifiques pour prolonger l'existence humaine. A la lecture de cet article, j'eus le sentiment qu'il répondait à mes primes angoisses.
En voici un extrait : Pour Aubrey De Grey - le chef de file de ces “bio-hackers” - “le vieillissement menant à la mort n'est pas un processus inéluctable, qui serait gravé de façon indélébile dans le génome : "le corps humain peut fonctionner indéfiniment à condition que les cellules qui le composent soient soumises à une maintenance périodique, un peu comme une voiture qui serait bien révisée et entretenue." Il a entrepris d'inventer une sorte de gériatrie préventive : "avec le temps, des petits dégâts s'accumulent dans les cellules, ce qui nuit à leur fonctionnement, puis provoque leur dépérissement. Mon objectif est de réparer ces dégâts." Il donne quelques exemples : introduire dans l'organisme des cellules cultivées in vitro, pour remplacer celles qui sont défectueuses ; insérer, à l'intérieur des cellules vieillissantes et encrassées, des enzymes chargés d'avaler les détritus qui les encombrent ; bloquer les mutations génétiques qui affaiblissent la capacité des cellules à produire l'énergie dont elles ont besoin…”.
L'éternité, c'est pour demain
Non seulement ces chercheurs croient sincèrement qu'ils peuvent prolonger la vie de façon substantielle, mais en plus ils pensent pouvoir le faire dans un avenir proche - d'ici 2025 ou 2030. Et si la maintenance est effectuée régulièrement, tout le monde pourra vivre sans limite de temps, avec le corps d'un jeune adulte bien portant. Il ne s'agit pas d'immortalité à proprement parler, car une mort violente, accidentelle, demeure inévitable. Mais mourir de vieillesse pourrait devenir extrêmement rare. “Les militants de l'extension de la vie semblent persuadés que la "conquête du vieillissement" est proche”.
“On devrait mourir une heure par jour, plutôt que tout à la fin.” Jean-Marie Gourio
Yves Eudes, l'auteur de cet article du Monde, poursuit en évoquant le cas de Ray Kurzweil. Cet homme, aujourd'hui âgé de 62 ans, s'est fixé comme objectif de “vivre assez vieux pour vivre toujours”. Il s'impose une hygiène de vie rigoureuse, et prend chaque jour plus de 150 pilules de toutes sortes - vitamines, compléments nutritionnels et autres : “compte tenu de l'enjeu, ce n'est pas très contraignant”. “Il pense pouvoir tenir sans problème jusqu'à 2030 (il aura 82 ans), ce qui lui permettra alors de bénéficier enfin des techniques permettant de prolonger la vie indéfiniment.
Elles s'appliqueront aussi à la régénérescence du cerveau : "grâce aux nanotechnologies, nous fabriquerons des ordinateurs de la taille d'une cellule, que nous injecterons dans nos veines. Ils iront se loger dans le cerveau, pour réparer les dégâts causés par l'âge, et surtout pour augmenter nos capacités intellectuelles"”.
Ces recherches font penser à de nombreux romans de science-fiction, ou à l'auteur de bande-dessinée Hermann, qui dépeint, dans un cobaye pour l'éternité, le projet d'un groupe de scientifiques qui a mis au point une solution pour puiser et conserver la jeunesse de certaines personnes afin de la réinjecter dans d'autres, qui peuvent ainsi vivre éternellement jeunes, à condition d'y mettre le prix.
Et les retraites, dans tout ça ?
Imaginons que l'on parvienne un jour - peut-être pas dans vingt ans, peut-être pas dans trente ans, mais un jour - à prolonger la vie d'un homme, non pas de quelques décennies, mais jusqu'à 1200 ans, voire 5 000 ans. Que diront donc les ministres actuels qui nous répètent chaque jour : “bonne nouvelle ! L'homme vit plus longtemps. Il faut s'en réjouir, et aussi reconnaître qu'il est logique de travailler plus longtemps” ? Lorsque l'homme vivra plusieurs milliers d'années - admettons que ce soit un jour possible - sera-t-il contraint de travailler également pendant des siècles et des siècles ? A quel âge pourra-t-il prendre enfin sa retraite, et pour combien de temps ?
Au-delà de ces questions, légitimes, on entrevoit l'ampleur des bouleversements que cela engendrerait irrémédiablement. La vie éternelle.
Si l'on ne meurt pas de vieillesse avant d'avoir atteint 12 000 ans, mais qu'une mort violente peut malgré tout venir interrompre brutalement notre existence, je pense que l'on se montre particulièrement prudent lorsque l'on traverse la rue. Je pense aussi qu'on cesse immédiatement de fumer, de boire, et plus généralement de tenter une quelconque expérience périlleuse. Tout risque devient en effet insensé.
Pout autant, détrompez-vous, je ne vais pas conclure que la vie est mieux courte, qu'il vaut mieux vivre peu mais bien. Pour deux raisons dont chaque est suffisante seule : ce serait trop contredire l'enfant qui demeure en moi. Et puis, je ne veux pas faire ce plaisir à Epicure.
En bref : l'immortalité, c'est bien, mais ça foutrait un sacré bordel.
Et puis, il ne faut pas oublier la phrase de Woody Allen : “l'éternité c'est long, surtout vers la fin”.
...et les retraites dans tout ça ?
RépondreSupprimerLa réforme française devrait encore être amendée en 2018, soit juste après la fin d'un éventuel second mandat.
On a pas la vie éternelle, mais certains s'évitent d'anticiper les problèmes...
Merci pour ce merveilleux (réaliste ?) billet
C'est drôle, ce matin aux Papous sur France Cul' ils faisaient justement un jeu de pastiche sur le roman de Simone de Beauvoir "Tous les hommes sont mortels". Je ne l'ai pas lu mais ça parle de gens qui recherchent l'immortalité... à voir.
RépondreSupprimerA part ça , moi, je ne trouve pas du tout stupide la phrase d'Epicure, elle est présocratique en diable, mais on peut difficilement faire plus juste. (et je suis pourtant - comme tu le sais fort bien - vraiment particulièrement angoissée par la mort, comme quoi!). Bises.
Problème: la vie est un cycle, naissance - vie - mort qu'il faut respecter. La vie eternelle? peu souhaitable pour deux raisons.
RépondreSupprimerD'abord, parce que si nous vivions tous indéfiniment, nous ne pourrions pas avoir d'enfant. L'humanité se régénère par les décès qui compensent (un peu) les naissances. Sans décès, chaque naissance ferait croitre l'espece humaine. Or, la terre compte deja trop peu de ressources pour les 7 millards que nous sommes aujourd'hui. Il est donc impossible d'exiter eternellement en procréant. Et vivre indéfiniment mais ne pas avoir d'enfant, ne plus créer la vie... Ce serait une petite mort. Une humanité sclérosée.
Ensuite, si tu pars du principe que nous ne pouvons pas tous etre immortels sous peine de mettre en danger l'espece humaine, il faudra faire un choix. Selectionner ceux qui on le droit de vie, et ceux qui vieilliront. Dur. Sur quels critères?
Personne n'aime l'idée de la mort. Mais sans mort, la vie n'existerait sans doute pas.
Vincent
Je me dois de préciser mon propos :
RépondreSupprimerTout d'abord, je vais bien, ne vous en faites pas. J'ai appris à vivre avec cette peur de la mort, et je reconnais bien volontier que “la mort fait partie de la vie”.
@ Vincent, je veux ajouter que je n'envisage pas la vie sans enfants, et la conquête d'une vie plus longue devrait s'accompagner, bien évidemment, de la conquête de nouvelles contrées, au-delà des sphères étoilées.
Qui dit plus de temps, dit plus d'espace, forcément.
@ Esther, je déteste dans cette phrase d'Epicure sa prétention à faire de la philosophie un remède contre la peur des hommes. La philosophie ne sert pas à soulager les craintes existentielles, comme tente de le faire la religion.
Par ailleurs, cette phrase est à mon sens extrêmement angoissante, car elle dit en substance : "rassurez-vous, une fois mort, il n'y a rien”.
Je reconnais malgré tout que sa première conséquence est de rappeler aux hommes de se concentrer sur leur vie réelle, sans imaginer je-ne-sais-quoi. Ce qui est tout à fait louable.
Mais s'il n'y a rien et qu'on n'en a même pas conscience. Pourquoi s'en faire? Puisque tu ne le réaliseras même pas. Moi, par exemple, j'ai fait un coma éthylique à 16 ans (et pourtant j'étais toujours vivant), eh bien, c'était le black-out total et je n'en avais même pas conscience. Ce n'est qu'une fois que l'infirmier m'a réveillé que j'ai pris conscience que c'était le black-out total! Et pourtant, je le répète, j'étais encore vivant! Donc, imagine quand tu es mort sans aucune conscience, si personne ne te ressuscite, tu ne le réaliseras jamais. Ou bien, imagine que c'est comme avant ta naissance. Je pense que tu n'en as pas souffert, vu que tu n'en avais pas conscience. Ou bien encore, il y a des choses, dans la vie, des problèmes, qui n'atteignent jamais car tu n'en as pas conscience. Tout est question d'en avoir conscience ou pas. Dans la vie comme dans la mort...
Supprimermoi je veux bien cool!!
RépondreSupprimerJe pense que l'homme immortel,c'est dans au moins 2000 ou 3000 ans
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