Accéder au contenu principal

Periscope : voir avec les yeux des autres

Cela faisait un moment que je n'avais pas ressenti pareil intérêt pour une application. Certes, il y avait eu Snapchat, et la mode des contenus éphémères ; il y avait eu Secret, et les échanges anonymes. Mais après les premières années des médias sociaux, la découverte de Facebook, le coup de foudre pour Twitter, l'intérêt pour des plateformes comme Pinterest, ou Instagram, je restais un peu sur ma faim.

Des yeux - par millions - pour voir le monde

Voici maintenant du nouveau.
On le sait : les révolutions se déroulent, souvent, par vagues successives. Les applications de streaming vidéo (en particulier Periscope, récemment achetée par Twitter), constituent l'une des ondes les plus importantes de la révolution des médias sociaux, à mon avis.

Ces dernières années, on a pu voir à quel point tout le monde devenait - à son échelle - un média. N'importe quel internaute peut être témoin d'un événement de grande envergure, et le faire connaître à son réseau, d'abord, puis, par ricochets, au monde entier. C'est ce qui m'est arrivé, personnellement, quand j'ai vu, il y a quatre ans, un incendie près du Louvre. Et que je me suis retrouvé dans le Washington Post.

Avec Periscope, chacun devient un JRI (journaliste reporter d'images). Chacun peut filmer, en temps réel, et, toujours en temps réel, partager ce qu'il filme avec des centaines, des milliers, voire des centaines de milliers de téléspectateurs.


C'est exactement comme s'il était possible, de chez soi, de se connecter au smartphone des habitants du monde entier, de Montevideo à Hong-Kong, en passant par Bujumbura et Moscou. Comme s'il était possible de voir, avec les yeux des autres.

Du premier œil aux regards partagés

Faisons un petit détour par la philosophie, si vous le voulez bien, et replongeons-nous dans ces lignes de Schopenhauer, pour qui "des soleils et des planètes [ne sont rien] sans un œil pour les voir, sans une intelligence pour les connaître". 

Bien entendu, la science nous apprend qu'il y avait de l'inorganique avant l'apparition des premiers êtres vivants sur Terre. "La matière a dû subir une longue série de transformations, avant que le premier œil ait pu s'ouvrir". Et pourtant, affirme Schopenhauer, "c'est bien de ce premier œil une fois ouvert (fût-ce celui d'un insecte) que tout l'univers tient sa réalité ; cet œil était, en effet, l'intermédiaire indispensable de la connaissance, pour laquelle et dans laquelle seule le monde existe, sans laquelle il est impossible même de le concevoir". 

Le monde n'est que représentation. Il n'est qu'à partir du moment où il se perçoit, et se conçoit
Fin de la parenthèse philosophique.

Being John Malkovich

Aujourd'hui, de nouveaux yeux s'ouvrent tous les jours, et l'on peut voir à travers eux. Il suffit de se connecter à cette fameuse application, Periscope, et l'on peut, comme je l'ai fait récemment, découvrir la vue d'un Péruvien qui admire le soleil couchant, de sa chambre d'hôtel, ou regarder ce jeune Coréen, qui prépare son petit-déjeuner. Le tout, en direct.

On peut visiter en live les locaux de Twitter, en Californie, ou bien parcourir les rues de Montmartre, embarqué sur le vélo d'un touriste de passage à Paris, et qui recherche en vain le café des deux Moulins (celui d'Amélie Poulain). On peut réagir, et guider ce dernier, lui indiquer la bonne route. Plaisanter avec lui. Being John Malkovich n'est plus de la science-fiction. Très bientôt, on pourra voir avec les yeux de Madonna, de James Franco, ou de Barack Obama. En temps réel.

Je ne sais pas si c'est pleinement réjouissant. Mais ce qui est certain, c'est que le monde des médias va prochainement subir un nouveau bouleversement. D'une ampleur sans précédent, sans doute.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'image parle d'elle-même

35 % des Français interrogés par TNS Sofres  (en juin 2012) affirment avoir déjà posté plus de 100 photos en ligne. Un chiffre parmi d'autres, bien sûr, mais qui illustre assez bien notre époque : celle de la prééminence de l'image . La photographie avait déjà une place de choix dans les années 1980 ou 1990, c'est certain, mais elle est devenue une pièce maîtresse de la conversation .  L'image, élément de langage Comme le souligne très justement André Gunthert dans cet article  (que je vous recommande) : “ pour la première fois de son histoire, la photographie traditionnelle est devenue une pratique de niche au sein d'un univers plus vaste, structuré par les mobiles et les réseaux sociaux : l'image communicante ”. Et de rappeler qu'en France, en 2011, il se vendait 4,6 millions d'appareils photographiques (deux fois plus qu'à la fin des années 1990) contre 12 millions de smartphones. Le mobile et les réseaux sociaux sont de fait les

Remplacer “Week-End” par un mot français

T ous les lundis, on trouve des gens pour se plaindre . Et tous les vendredis, des gens pour se réjouir. C'est devenu habituel, commun, systématique. Des sites ont même été créés dans cet esprit.  http://estcequecestbientotleweekend.fr par exemple. Bien entendu, il y a des exceptions . Il y a des gens qui ne travaillent pas, ou des gens qui travaillent à temps partiel, voire des gens qui travaillent uniquement le week-end. Cela étant, on retrouve quand même ce rythme, éternel.  Ce qui est assez fou, quand on y pense, c'est que depuis le temps, personne n'a été capable en France de trouver un nom pour désigner le week-end . On utilise ce terme 150 fois par an, dans nos conversations, sans chercher à le remplacer par une expression made in France .  Bientôt le SamDim “Fin de semaine”, la traduction littérale de “week-end” désigne finalement le jeudi et le vendredi, dans le langage courant. Il faut donc trouver autre chose :  Je propose Samdim

Tu es mon amour depuis tant d'années

T u es mon amour depuis tant d'années, Mon vertige devant tant d'attente, Que rien ne peut vieillir, froidir ; Même ce qui attendait notre mort, Ou lentement sut nous combattre, Même ce qui nous est étranger, Et mes éclipses et mes retours. Fermée comme un volet de buis, Une extrême chance compacte Est notre chaîne de montagnes, Notre comprimante splendeur. Je dis chance, ô ma martelée ; Chacun de nous peut recevoir La part de mystère de l'autre Sans en répandre le secret ; Et la douleur qui vient d'ailleurs Trouve enfin sa séparation Dans la chair de notre unité, Trouve enfin sa route solaire Au centre de notre nuée Qu'elle déchire et recommence. Je dis chance comme je le sens. Tu as élevé le sommet Que devra franchir mon attente Quand demain disparaîtra. René Char