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Les applications éphémères : forces et limites


Aujourd'hui, Facebook existe depuis 10 ans. Dans le monde entier, vous allez retrouver des articles, dans la presse - ou sur la Toile -, pour analyser le succès de ce réseau social, tirer divers bilans, et prédire sa fin prochaine “parce que la jeune génération semble s'en désintéresser aux États-Unis”. Ce n'est pas nouveau, mais ça permet d'écrire des pages et des pages sans se fouler. 

On va vous parler aussi des applications éphémères, qui menacent de plus en plus le réseau social numéro un. Je continue de penser, pour ma part, que ces applications ne concurrencent pas Facebook, directement. Mais on peut malgré tout dire quelques mots de cette nouvelle forme de communication qui attire de plus en plus d'utilisateurs.

Snapchat, l'incontournable

Il faut commencer par Snapchat, nécessairement, qui symbolise à elle-seule les applications d'échanges éphémères. Et ce, notamment depuis que son créateur a décliné l'offre d'achat par Facebook (ce n'est pas tous les jours qu'un start-upper refuse ainsi plusieurs milliards de dollars).


Snapchat permet d'envoyer des images à des amis - images qui s'auto-détruisent après quelques secondes. “Ce qui explique notamment la popularité de ces services, c'est qu'ils s'inspirent d'une époque où le contexte était tout ce qui comptait”, affirme Lee Rainie, responsable du Pew Research Center's Internet & American Life Project. “Vous vous retrouvez avec du contenu qui disparaît simplement dès qu'il a été partagé”.

Et contrairement aux idées reçues, il n'y a pas que des images à caractère érotique. Il y a surtout beaucoup de selfies sur Snapchat.

La plupart des applications qui se développent aujourd'hui proposent grosso modo le même service, mais sans se limiter à l'envoi d'images. Wickr ou Blink, par exemple, permettent d'envoyer du texte, des photos ou des vidéos, qui disparaissent au bout d'un certain temps sans laisser de trace. 

Les envois multiples

On parle toujours du caractère éphémère de la communication, et pour cause. Mais l'une des grandes forces de ces applications est aussi l'envoi multiple. C'est ce qui a fait le succès de Twitter, d'ailleurs, conçu à l'origine comme une solution permettant d'envoyer un SMS à plusieurs contacts en même temps.


Dans les récentes applications éphémères, comme Meatspace ou Kwikdesk, l'idée est bien de s'adresser à plusieurs personnes, simultanément. Sur Snapchat aussi, c'est ce qui est assez agréable, quand on découvre les différentes options proposées : pouvoir envoyer la même image à cinq ou six personnes, et voir les retours des uns et des autres. Pour quiconque éprouve une difficulté à choisir, c'est un luxe de pouvoir ainsi adresser un message privé à une foule de gens, en même temps. Vous me permettez un détour philosophique ? Leibniz a beaucoup écrit sur les possibles et les incompossibles - “incompossible” signifiant qu'il y a des choses “qui ne sont pas possibles ensemble ; élire l'une, c'est interdire à l'autre d'exister”.

Avec ces applications, vous avez la liberté de ne pas choisir. 

L'intimité consacrée

Autre grand avantage : le caractère éphémère de cette forme de communication permet de retrouver un semblant d'intimité. Avec le scandale de la NSA, et l'inquiétude grandissante du grand public face à l'exploitation des données personnelles, il est rassurant de se dire que - cette fois - tout ce qui sera écrit ou pris en photo disparaîtra ensuite. 


On peut se lâcher un peu plus, s'autoriser quelque folie, envoyer des messages plus personnels, plus secrets. Jeremy Liew (partner chez Lightspeed Venture Partners, l'un des investisseurs de Snapchat) explique le succès de ces applications par le fait que les gens en avaient assez de partager leur vie sur Facebook, Instagram ou Twitter (lire : ma vie ne sera jamais en ligne). Il réfute l'idée que les utilisateurs de Snapchat passent leur temps à partager des images à caractère sexuel, affirmant que la plupart des snaps sont envoyés pendant la journée - ce qui rend en effet l'opération difficile. “Ce qui est vrai, en revanche, c'est que le public souhaite une application qui offre plus d'intimité, et plus d'authenticité”, remarque-t-il.

L'application des criminels

Je terminerais par là, mais c'est un point important. Prenons par exemple une application développée par des Français (cocorico !) et baptisée FYEO (acronyme de For Your Eyes Only) qui paraîtra dans les prochains jours. Son principe est simple : permettre à chacun d'envoyer des messages éphémères sans avoir besoin au préalable - pour se créer un compte - de donner son vrai nom, et encore moins son mail ou son numéro de téléphone.

Comme au bon vieux temps des Internet, oui, tout à fait : vous pouvez échanger anonymement avec vos proches, en créant un pseudo que vous ne communiquez qu'à ceux-ci. C'est fort pratique, et carrément rassurant par rapport aux questions de la surveillance des agences américaines.

Mais au fait, que surveillaient-elles, ces agences ? Ah oui, c'est vrai, les réseaux terroristes, et les filières mafieuses. À partir du moment où les criminels pourront échanger des messages anonymement, pour un temps limité, il deviendra difficile d'agir pour contrecarrer leurs projets.


“Rien de ce que vous pouvez dire ne sera jamais retenu contre vous”. Aucune trace n'est laissée. C'est la promesse faite par les créateurs de l'appli à leurs utilisateurs. Je pense que ça doit nous interpeler, un tout petit peu. Et je ne parle même pas du délit d'initié, au sein des entreprises, si ces applications se développent. Comment prouver un crime si toutes les preuves s'auto-détruisent d'elles-même après quelques secondes ?

Les applications éphémères continuent de se développer et de gagner en popularité. Le MIT ne s'y trompe pas, et prédit un succès planétaire. Il devient donc urgent de se poser les bonnes questions, et de réfléchir à la façon dont on peut encourager la liberté et la protection de la vie privée, tout en se protégeant collectivement d'un usage abusif ou, disons, pernicieux, de ces outils de communication éphémère.

J'ai voulu, par ce billet, contribuer à la réflexion. :)

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