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De nous, que restera-t-il ?

Dans les moments difficiles que l'on traverse parfois, à l'échelle individuelle, ou à l'échelle d'une famille, d'une société, d'un pays, voire d'un continent, ce n'est pas toujours évident de prendre du recul. Sur le moment, on a le sentiment que la situation est inextricable, et que les conséquences sont lourdes, inévitables.

Une façon de souffler quelques secondes peut être de se rappeler un fait incontestable : tout finira par s'évanouir. Les problèmes, les malentendus, les colères, les injustices, les erreurs, les blessures. Tout passe. Tout fuit. Tout s'efface. Avec le temps. 

Tout doit disparaître

Les plus grandes défaites finissent par être bien peu de choses, au regard de l'Histoire. Les pires humiliations sont un jour oubliées. La vendetta la plus ancienne finit par s'éteindre, et l'on finit par cesser de vouloir venger ceux qui ne sont plus.

De même, les plus grandes gloires finissent par être insignifiantes. Aux Grands hommes, la patrie reconnaissante, certes. Mais on finit par oublier qui sont ces Grands hommes. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Tchekhov.
"Oui. On nous oubliera. C'est la vie, rien à faire. Ce qui aujourd'hui nous paraît important, grave, lourd de conséquences, eh bien, il viendra un moment où cela sera oublié, où cela n'aura plus d'importance".
À l'époque antique, le Sénat romain prévoyait une peine cruelle à l'encontre d'un personnage public. 

Damnatio Memoriae

Baptisée "Damnatio Memoriae", elle consistait en l'annulation de ses honneurs, l'effacement de son nom des monuments publics ou encore le renversement de ses statues. 
La peine ultime : cher Monsieur, pour votre crime, on vous oubliera

Or, il est normal de vouloir qu'on se souvienne de nous. A fortiori quand on fait de la politique. On voudrait que notre passage sur cette Terre, à défaut d'avoir un sens, ait servi à quelque chose. Qu'on ait réussi à transmettre, à convaincre, à faire progresser le monde.

Et pourtant, comme le dit Annie Ernaux dans Les années, "toutes les images disparaîtront".
"Et l'on sera un jour dans le souvenir de nos enfants au milieu de petits-enfants et de gens qui ne sont pas encore nés.S'annuleront subitement les milliers de mots qui ont servi à nommer les choses, les visages des gens, les actes et les sentiments, ordonné le monde, fait battre le cœur et mouiller le sexe. (…) Tout s'effacera en une seconde. (…) Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. (…) Dans les conversations autour d'une table de fête on ne sera qu'un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu'à disparaître dans la masse anonyme d'une lointaine génération".
Presque rien

Ma conviction, en dépit de cette dure réalité, c'est qu'il est possible de laisser quelque chose. Quelque chose d'intangible, de minime, d'insignifiant peut-être. Mais ce presque rien aura une influence. Ce que l'on transmet à une personne peut lui permettre à son tour de le transmettre à une autre ou de le transformer pour en faire autre chose, et ainsi de suite.
"Si on peut trouver moins que rien, c'est que rien vaut déjà quelque chose". Raymond Devos Parler pour ne rien dire.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transmet, en quelque sorte.

C'est cet héritage intangible, notre héritage, qui est l'essentiel. C'est à lui qu'il faut penser, plutôt qu'à la gloire ou à la fortune. Nous disparaîtrons un jour, et de nous ne restera presque rien. Ce presque rien qui est tout. Ce presque rien qui vaut la peine de vivre pleinement, du coup.

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