Le problème, c'est que peu d'internautes ont envie de voir leur vie exposée en ligne. Nombreux sont soucieux des informations que les marketeurs accumulent à leur endroit. Ce module proposé au moment des fêtes de fin d'année par Facebook met une nouvelle fois au grand jour sa volonté de récolter tout ce qui concerne l'existence de chacun. Pour ceux qui en doutaient encore, ou qui refusaient de le voir, c'est maintenant explicite.
La limite algorithmique
L'année dernière, déjà, il était possible de créer son "journal de l'année". Simplement, c'était une option discrète sur le profil de chacun, et l'on pouvait l'activer si on le souhaitait. La logique était la même, mais l'approche plus subtile. Il faut donner aux internautes la possibilité d'agir, mais ne pas chercher à leur forcer la main. Ce Noël, c'était comme imposé, dans le newsfeed des uns et des autres, avec une phrase, par défaut : "It's been a great year! Thanks for being a part of it".
C'est là la première erreur, à mon sens. Il y avait un caractère intrusif, qui rappelait également la tendance de Facebook à décider à votre place ce qui vous correspond.
Un homme qui avait perdu sa fille de six ans, au début de l'année 2014, atteinte d'une tumeur au cerveau, raconte par exemple son désarroi face au post généré automatiquement par Facebook, avec la photo de sa fille défunte entourée de décorations festives. Ou comment les algorithmes maladroits viennent tourner le couteau dans une plaie encore ouverte.
Pour Facebook, tout le monde est heureux
En 2013, justement, je n'avais pas voulu générer cette "année en revue". J'avais connu à mon échelle une sale année : un cambriolage, l'effondrement d'un mur entier de mon logement, des travaux pénibles, un déménagement improvisé, une rupture amoureuse, un accident grave de santé, et le décès d'une personne que j'aimais. Ça faisait beaucoup, pour une année. J'avais plus que jamais envie de me tourner vers l'avenir.
Le monde de Facebook est un monde de likes pas de dislikes. Tout y est beau. Tout y est propre et joyeux. Il est inimaginable qu'on passe une mauvaise année. L'impératif du bonheur est catégorique. C'est comme si les inventeurs de ce module de fin d'année étaient incapables de comprendre leur maladresse, tant ils sont imprégnés de l'état d'esprit facebookien.
L'optimisme souffre mal la rétrospective. Sans changer radicalement de philosophie, Facebook ferait peut-être mieux de se tourner vers l'avenir, lui aussi. De générer avec ses algorithmes intelligents les raisons d'y croire, pour l'année qui s'ouvre.
Pour 2015 en effet, la page est encore blanche. L'année est vierge de tout événement. Il n'y a encore eu aucune nouvelle, aucun drame, aucun fait divers. Pas d'attentat, pas de catastrophe naturelle, pas d'assassinat. Les chiffres du chômage ne viennent pas encore enfoncer, chaque mois, le clou de la morosité ambiante. Il y a même des signes qui laissent espérer la reprise. On peut souhaiter le meilleur, sans être contredit, pour le moment.
C'est ce rôle là que Facebook devrait jouer, à mon avis, s'il continue de vouloir construire un monde plus connecté, et surtout moins morose.
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