New-York 1612 - 2012
J'aurais pu naître un siècle plus tôt, le 23 juillet 1886. Au même endroit, à Paris. Mon enfance aurait été plutôt heureuse, sans doute, au cœur de la Belle Époque. Mais à mon âge, les choses auraient commencé à se gâter.
Si j'étais né un siècle plus tôt, en effet, il ne me resterait plus que deux ans de vie [article écrit en juillet 2012] avant La Grande Guerre, la mobilisation générale, l'horreur des tranchées. Deux ans pour profiter du soleil, de la Seine, des cafés en terrasse ; deux ans pour arpenter ces rues, croiser des passantes aux robes d'été, sourire à la vie ; deux ans pour profiter pleinement de cette ville, de ces jardins, et de la paix.
Pas sous la même étoile
À 28 ans, on me retrouverait dans la boue, avec un casque en ferraille pour protéger mon crâne des éclats d'obus et des balles, les mains tremblantes de froid et de peur, emmitouflé dans une tunique sale, crasseuse, sous une pluie battante, avec d'autres hommes effrayés, dans cet enfer imposé par la fatalité de l'époque.
Les circonstances - elles seules - m'interdiraient de vivre tranquillement, d'avoir une histoire d'amour, des enfants, des amis avec qui boire un verre le soir, une famille. Ma date de naissance serait tout bêtement responsable de ce cauchemar là.
À ce sujet, je vous recommande chaudement cette BD de Tardi
Avec beaucoup de chance, au sortir de la Guerre, à 32 ans, je serais encore vivant. Resterait la Grippe espagnole, à éviter.
Puis, pour mes cinquante ans, rebelote, ce serait la Seconde Guerre mondiale qui viendrait me rappeler quelques bons souvenirs…
Deux siècles plus tôt
Deux siècles plus tôt, je serais né en juillet 1786. Trois ans avant la Révolution française. Une période pour le moins troublée, mais avec un souffle de liberté, ce qui n'est pas négligeable. Pour mes six ou sept ans, en revanche, ç'aurait été la Terreur. Des hommes et des femmes décapitées, ici ou là. De quoi traumatiser un enfant, je pense.
À mes 20 ans, impossible d'y échapper, j'aurais été engagé dans les armées napoléoniennes. La Guerre, là encore. Inévitablement. Une vie à la Barry Lindon, en somme. Ou à la Fabrice Del Dongo. En 1812 (deux siècles avant aujourd'hui), c'était la bataille de Russie, le début de la fin, la Bérézina. La mort annoncée de l'Empire, du rêve napoléonien.
Hasard heureux
Je peux remonter plus loin encore : à chaque fois, je retrouve la Guerre, les épidémies, la famine, les tensions. Quand je pense à tous ces gens qui ont vécu avant moi : ce qu'ils ont dû endurer. Quand je pense à ce que représente ma date de naissance, une seule journée à l'échelle de l'Histoire de l'humanité, je me dis que je suis vraiment chanceux.
Je me dis aussi que les Hommes ne s'en sont pas trop mal sortis - ils venaient de loin - pour construire cet espace de paix, l'Europe ; pour mettre en place toutes ces institutions, pour se protéger des maladies et des instincts meurtriers de leurs semblables.
Je me dis aussi que, personnellement, je n'y suis pour rien.
Mais que ma responsabilité actuelle, c'est de contribuer à faire de mon époque une belle époque.
Sans ce qui est venu ensuite, de préférence.
J'ai lu ton article avec attention. Dommage que beaucoup d'enfants nés en 1986, soit notre génération, n'aient pas eu la même chance que nous à slt quelques kilomètres de là ... ( rien que dans les balkans dans les années 90).
RépondreSupprimerReste que ton article est sympa, et bien écrit :)
Merci pour le commentaire.
RépondreSupprimerLa dimension géographique entre également en compte, en effet, c'est certain. C'est la raison pour laquelle je le précise dès la première phrase.
Warren Buffet, le célèbre milliardaire américain, expliquait qu'il devait sa fortune au hasard qui l'avait fait naître à cet endroit - et non ailleurs - et à notre époque - et non à une autre ; ajoutant que ses qualités/compétences n'auraient jamais été à ce point valorisées dans un autre contexte. Ainsi, s'il était devenu milliardaire, c'était avant tout par un concours de circonstances.
Bien pensé et bien écrit Basile... et c'est sans compter l'espérance de vie qui s'est beaucoup étirée depuis... ce qui te permettra d'écrire encore plus longtemps...:)
RépondreSupprimermoi quand je te lis , je me régale de tes réflexions et pensées.. le monde a changé , l humain est plus éclairé sur sa condition, on s'informe , on nous informe mais comme par le passé, il y a encore des guerres partout....c'est la nature humaine qui fait peur!
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