Plus les années passent, plus j'ai le sentiment d'entrer dans l'entre-deux-âges. Entre les années d'incertitude, d'inquiétude, de quête de sens. La vingtaine, pour faire court. Cette époque où l'on se cherche, où l'on s'interroge, sur ce que l'on va faire plus tard. Cette époque où l'on est sensible à des phrases comme : "deviens ce que tu es, fais ce que toi seul sais faire", sans savoir très bien, pour autant, quel sens profond elle revêt, ni même si elle revêt un sens véritablement profond. Période où l'on fume, à la fenêtre de sa chambre d'étudiant, en hésitant entre tous les chemins du possible qui s'offrent à nous. De l'autre côté, sur l'autre rive, il y a les années de stabilisation, les années des réponses apportées, de la prudence retrouvée, d'une certaine sérénité. C'est du moins ainsi que je me les figure aujourd'hui. Un âge plus serein, où l'on est devenu quelque chose, sinon quelqu'un.
L'entre-deux, comme toujours, est un peu bancal. En s'y prenant mal, on se retrouve avec les désagréments des deux âges : les incertitudes de la prime jeunesse et la lassitude des expériences déçues. L'inverse est également vrai : on peut tenter de ne tirer que le meilleur, c'est-à-dire la vigueur et la force de la jeunesse, combinées à une forme de sagesse et de tranquillité d'âme. On peut.
Il me manque encore beaucoup de réponses, à de nombreuses questions. En relisant Aragon, une impression étrange m'envahit cependant : il semble dire dans plusieurs passages du Roman Inachevé que tout ce qui arrive à une personne dans sa vie est finalement déjà arrivé. Tous les autres, qui ont vécu avant, ont vécu les mêmes histoires. Toutes les générations qui nous ont précédés ont connu les mêmes désillusions. "Moi j’ai tout donné (…) pour vous épargner la dérision de n’être au bout du compte que ce qu’à la fin nous aurons été, à chérir notre mal. Le papier jauni des lettres jetées au grenier dans la malle".
J'imagine mes billets de blog, écrits depuis dix ans maintenant, tels qu'ils seront peut-être un jour : des feuillets jaunis au fond d'une malle numérique, que mes petits-enfants ouvriront éventuellement, par le hasard des choses, dans quelques décennies.
C'est à la fois rassurant d'imaginer que tout ce qui arrive est finalement déjà advenu par le passé, et un peu angoissant aussi si l'on considère que c'est en grande partie vain ; que de ce tout qui nous arrive, il ne restera à la fin des fins que peu de choses. D'autres arriveront ensuite, et revivront les mêmes doutes, les mêmes incertitudes, se poseront souvent les mêmes questions. Mes petits-enfants vivront les mêmes époques, les mêmes chapitres de vie.
Aragon, donc. Pour nous avertir de tout cela. Nous faire prendre conscience que rien de ce que l'on traverse n'est inédit. Aragon. Et Orelsan.
Commentaires
Enregistrer un commentaire