Accéder au contenu principal

Le plaisir de voir, sans être vu

Jamais, depuis bientôt dix ans, je n'avais délaissé aussi longtemps ce blog. C'est qu'il n'est pas toujours facile de trouver le temps ; et puis on se trouve facilement des excuses, pour le coup. Pourtant, j'aime l'idée qu'il existe un endroit pour moi, sur Internet. Un lieu qui m'appartient, que je peux modeler à ma guise. 

On parle souvent de la Toile - et, bien sûr, on se réfère alors à la Toile géante d'une araignée. Un réseau de fils qui nous relient les uns aux autres, ici et là. Un filet où l'on vient se perdre, sans doute, un dimanche soir. À la recherche de nouvelles, d'alter-egos, d'informations ou de consolation. J'aime la polysémie du mot Toile en Français. Plutôt qu'un réseau arachnéen, la Toile est pour moi une Toile de peintre, une toile blanche sur un chevalet, où chacun vient apporter sa touche colorée, s'il le souhaite. Un espace de cette Toile m'est donc réservé ici. Je peux gribouiller ce que je veux. C'est ma liberté.

J'ai erré tout à l'heure, dans les rues de Paris. Le long de la Seine. En attendant que le bus arrive, je me suis accoudé aux pierres du quai, et j'ai regardé en contre-bas. Il y avait du monde, sur cette voie piétonnisée qui fait tant débat. De ma hauteur, je pouvais contempler à loisir ces passants au sourire printanier. Je voyais sans être vu

Cet inconnu, qui dessinait deux inconnues

Un jeune homme, brun, à l'allure désordonnée, était assis dans l'herbe. Lui-même pensait voir sans être vu. Il dessinait sur un carnet les deux jeunes filles qui étaient à quelques mètres de lui, et qui discutaient, insouciantes. Je voyais à la fois son esquisse, le tracé rapide et souple de sa main, son regard posé sur elles, la prudence avec laquelle il dessinait sans éveiller de soupçons. Ses muses, anonymes, ne devaient se douter de rien. 


L'une d'elle remit son pull - la fraîcheur de l'hiver se faisant soudainement ressentir, malgré la douceur du soleil - avant de re-boucler sa salopette sombre. Elle fit à plusieurs reprises un geste de la main, pour dégager ses longs cheveux blonds. Mon dessinateur secret n'a sans doute pas pu retranscrire dans son esquisse ce mouvement singulier. 

Mais il aura avec lui désormais le souvenir dessiné de cette discussion anodine, entre deux inconnues. Ces dernières, pour ce qui les concerne, ne sauront jamais que cet instant fut observé par cet inconnu dans l'herbe. Et par cet autre, au-dessus d'elles, qui attendait que le bus arrive. Le plaisir d'être vues, sans le savoir.

(© photos : https://www.behance.net/gallery/11282187/Nobodys-looking by Florin Ioanitescu)

Commentaires


  1. Le plaisir de voir, sans être vu, d'être vu sans le savoir. De venir tout en sachant que revenir sera touchant. (M)

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Puisqu'il faut vivre avec

J e ne sais même pas par où il faudrait commencer. Ce n'est finalement pas simple d'écrire face à une situation inédite, imprévisible, surprenante, historique. J'ai plutôt l'habitude de décrire ici de petits aspects du quotidien, de partager des réflexions personnelles, sans grande prétention. Soudain, le monde s'écroule. Tenir un blog en pleine crise sanitaire mondiale apparaît quelque peu illusoire.  J'écrivais pourtant, sur ce même blog, il y a plusieurs années maintenant, ce sentiment de vivre depuis ma naissance le temps des crises perpétuelles . J'entendais parler depuis toujours - du moins était-ce mon sentiment - de crise. Crise de l'éducation nationale, crise du travail, crise identitaire, crise de l'hôpital, crise écologique bien sûr, crise migratoire, crise économique, j'en passe et des meilleurs. La crise était devenue la norme. Et c'est de nouveau le cas, il me semble. Nous vivons l'époque d'une crise continue.

Derrière les mots et les images des médias sociaux

J amais il n'y avait eu de si longues périodes de silence sur mon blog. Aucun post depuis février. Je crois que j'avais besoin de prendre un peu de recul. De m'interroger aussi sur ma présence en ligne. Allez savoir si c'est l'âge - le mien, d'ailleurs, ou celui d'Internet - ou autre chose encore : mais on finit par se poser des questions sur ces mots qu'on donne à lire. C'est sans doute à force de consulter les plateformes sociales. Toutes ces images, ces vidéos, ces sourires affichés, qu'on voit quotidiennement. En sachant aussi ce qu'ils cachent. C'est notre époque : nous possédons des outils de plus en plus performants pour communiquer, mais ce que nous communiquons est souvent loin de ce qui nous anime véritablement. Souvent loin de ce que nous sommes. En résulte sans doute parfois un certain mal-être, qui est compensé par ces mêmes outils numériques nous offrant des solutions de méditation ou des cures de sommeil. C'est la montr

Ni pour, ni contre, bien au contraire

C ela fait un moment qu'aucun mot n'a été écrit sur ce blog. Les années passent. Je perds cette - bonne - habitude. Plus globalement, je partage moins mes pensées, mes envies, mes doutes sur les médias sociaux. J'ai un peu du mal à me positionner dans les débats quotidiens, un peu du mal à entrer dans l'arène des polémiques diverses, des controverses incessantes. Je n'ai plus envie ni d'être pour, ni d'être contre. Je ne réclame ni la démission d'untel, ni ne m'emballe pour le respect de la présomption d'innocence.  Je rêve de nuance, de précision, d'intelligence, de juste mesure. Je rêve de discussions, de conversations, où l'on prend autant de l'autre qu'on ne contribue soi-même à faire avancer une juste cause. Les duels exacerbés, systématiques, m'usent peu à peu. J'imagine que je ne suis pas le seul dans cette situation, à contempler sans mot dire les violentes échauffourées des plateformes sociales. Le temps de la jou