Je ne sais pas si ça vous fait ça, vous aussi. Devant une vieille photographie, usée, qui présente quelques personnages aujourd'hui disparus, à l'époque souriant, je ne peux m'empêcher de m'imaginer leur vie, la façon dont ils se comportaient, ce à quoi ils pensaient, à l'instant précis où l'appareil figeait à jamais leur regard sur la pellicule.
Ils ne connaissaient pas grand chose du monde actuel, mais eux aussi rêvaient, s'aimaient, travaillaient, espéraient, projetaient, imaginaient. Leur vie, en fin de compte, n'était pas très différente de la nôtre. C'est pourquoi il est si facile de les comprendre, et de mesurer ce qu'ils ont traversé, face aux tragiques événements de leur Histoire - le siècle passé n'était pas des plus tranquilles, c'est le moins que l'on puisse dire.
Des mots d'Aragon me reviennent bien souvent, comme un refrain : "ne voyez-vous pas, malheureux enfants, que tout ce que nous fûmes se dresse devant vous et vous défend le seuil mauvais des brumes ? Ce que nous étions, nous l'avons payé plus qu'on ne l'imagine. Et regardez ceux qui vont, foudroyés, sans cœur dans leur poitrine. Ils s'imaginaient d'autres horizons, d'autres airs de musique. (…) Moi, j'ai tout donné, mes illusions, et ma vie, et mes hontes, pour vous épargner la dérision de n'être au bout du compte que ce qu'à la fin, nous aurons été, à chérir notre mal. Le papier jauni des lettres jetées au grenier dans la malle".
Que reste-t-il, en effet, de vos ancêtres, de leur vie, de leurs peurs, de leurs espoirs ? Connaissez-vous seulement le prénom des parents de vos grand-parents ? Comment en savoir davantage sur leur vie respective, autrement qu'en relisant leurs lettres, qu'en retombant sur le vieil album du salon, où les images se décollent déjà ?
Et puis, qu'en sera-t-il de nous ? Nous, qui passons nos journées à écrire, à photographier, à publier des messages ici ou là, sur Internet. Comme si nous nous efforcions de laisser le maximum de traces de notre passage. Nos descendants se souviendront-ils de notre prénom, de notre visage, dans quelques centaines d'années ? Les miens liront-ils les phrases que j'écris aujourd'hui ? Peut-être. À moins qu'ils ne soient confrontés à d'autres problèmes.
In about 20 years, the hardest thing kids will have to do is find a username that isn't taken.
— Bill Murray (@BiIIMurray) February 23, 2015
Ça fait beaucoup de questions sans réponse. Ce qui est certain, c'est qu'il sera a priori beaucoup plus facile de se plonger dans la vie des personnes disparues. Les signes, laissées par elles, seront nombreux, et les outils, créés depuis, permettront d'aller fouiller leur existence en profondeur, j'imagine. Ou peut-être que le futur sera alors si excitant qu'aucun individu ne sera vraiment intéressé par ce lointain passé, où Internet n'en était encore qu'à ses débuts.
Le plus important, ce n'est pas tant les traces qu'on laisse derrière soi : les photos, les vidéos, les écrits, les dessins… Ce qui compte vraiment, c'est ce qu'on transmet - sans le vouloir, parfois -, dans la façon dont on traverse l'existence. Dans la façon dont on se comporte. Dans le bien qu'on fait autour de soi, dans les idées qu'on soutient, les projets qu'on réalise. C'était déjà le cas auparavant, ça l'est toujours aujourd'hui. Ça le sera demain. L'héritage immatériel.
source illustration : Arsheef
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