La profondeur de l’entaille importe peu ; la plaie cicatrisera. C’est toujours ainsi que cela se passe. Pour mon dernier anniversaire, mon frère m’a offert un livre sur la Grande Guerre, celle de 14, perçue par les Grands écrivains. Je suis tombé sur ce très beau texte de Stefan Zweig, revenant du front, qui découvre avec stupéfaction que la vie reprend ses droits à l’arrière :
“Ici (…) a eu lieu un carnage sans précédent, un combat acharné entre des nations entières, et la nature, cette indifférente, l’a oublié. Il y a encore quelques mois, peut-être une semaine, du sang frayait ici son chemin vers les veines brunes de la terre, on enfouissait des morts par centaines dans sa gueule éternellement insatiable - mais pas un instant les terres n’ont interrompu leur travail obscur. Les champs de bataille - c’est une impression indescriptible, cruelle et consolante à la fois - se reprennent à fleurir. (…) Les coquelicots inondent comme du sang frais les cheminements effondrés et les barbelés. (…) La terre œuvre patiemment à transformer inéluctablement le malheur en fertilité”.
La vie, plus forte.
Ce prodige, dont parle Zweig, est au cœur de tout. Douze personnes, sans vie, gisaient le sept janvier, dans cet immeuble si près d’ici. J’ai en tête l’image de ce couloir vide, photographié juste après la tuerie, avec cette trainée de sang déjà noir, et ces papiers éparpillés. Ce n’est pas pour autant qu’ils sont parvenus à “tuer Charlie”, comme nous le savons désormais. Cet assassinat - maigre consolation, encore une fois - était vain. La liberté ne s’assassine pas.
Les hommes continuent à vivre, à écrire, à dessiner, à lire. Il suffisait, là encore, de lire Stefan Zweig, pour s’en convaincre :
“Derrière le destructeur marche pas à pas le constructeur, tel le semeur derrière la tranchante charrue. Derrière les milliers dont l’ouvrage est de détruire, d’anéantir la vie et la culture, voici qu’agissent les troupes immenses de ceux qui renouvellent et qui maintiennent”.
Le monde comme volonté
Ça ne sert à rien de se détruire, à rien de s'entredéchirer. Le temps viendra panser les plaies. De tout cela, en fin de compte, il ne reste jamais grand chose. La volonté que nous avons de vivre en paix, libres, et heureux, est plus forte que tout. Comme une mauvaise herbe, elle reviendra quoi que l'on fasse, inlassablement.
A l'échelle de chacun, cela vaut aussi. Les occasions de pleurer, de souffrir, de crier à l'injustice, seront nombreuses. Les désespoir, les chagrins, les déceptions, ne manqueront pas. Mais que vous le vouliez ou non, votre résilience existe. Vous tomberez, et tomberez encore. Mais, toujours, vous vous relèverez. Vous verrez.
Alors allons. Allez.
© photo: Forgotten Summer
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