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J'avais vingt ans, depuis dix jours à peine


J'avais vingt ans, depuis dix jours à peine. C'était en plein été. La chaleur étouffante nous incitait à retourner nous baigner dans la mer, tous les quarts d'heure. J'avais le teint bronzé, le sourire aux lèvres ; des cheveux ébouriffés où se mêlaient le sable et le sel. Quelques jours plus tôt, j'avais gagné une somme rondelette au casino de Barcelone - en pièces de 1 euro, ce qui renforçait mon impression de posséder une petite fortune. Je venais de vivre plusieurs jours d'insouciance, avec mes plus proches amis, des soirées merveilleuses, que je n'oublierai jamais. L'année de khâgne était derrière moi, je pouvais profiter de vacances bien méritées.

J'avais vingt ans, depuis dix jours à peine. Six mois plus tôt, la jeune femme dont j'étais éperdument amoureux venait de céder à des semaines de séduction acharnée, pour tomber - enfin - dans mes bras. C'était le début de l'idylle, les premières semaines enflammées, les premiers baisers, les mains qui se croisent sous la table du café, les pieds qui se frôlent, la passion à son apogée. Mon cœur n'avait encore jamais autant battu. J'avais découvert l'amour véritable, la liberté, l'espoir immense, et le XVIIIe arrondissement de Paris.

J'avais vingt ans, depuis dix jours à peine. Des rêves plein la tête, des projets, des envies. Vingt ans, c'est l'âge où l'on commence à agir en adulte, sans l'être totalement. On voyage, on sort, on fait la fête. On travaille, on décide de faire des plans. Et en même temps, tout est encore à venir. La vie est devant nous. Il faut construire. Il faut imaginer. Il faut repenser le monde.


J'avais vingt ans, depuis dix jours à peine. Et j'ai plongé, d'une jetée, à la fin de cette journée d'août 2006. Vingt ans, et ma tête a heurté ce rocher, de plein fouet. Vingt ans, et je me retrouvais sur la civière. Vingt ans, et du sang plein les paupières. Puis l'ambulance, l'hôpital, les chirurgiens espagnols, l'opération, les points de suture pour recoudre la plaie “d'une vingtaine de centimètres” sur le cuir chevelu, l'attente, le rapatriement en avion, les médecins français, la nouvelle opération, les soins quotidiens pendant plus d'un mois.

J'ai failli mourir ce jour-là. J'en ai conscience aujourd'hui. Un simple plongeon aurait pu me priver de ces années géniales qui ont suivi. Je n'aurais pas connu Venise, ni Naples, ni l'île de Paros, ni l'Auvergne ni la Quinta Nova. Pas connu Copenhague, ni Cologne, ni Bonn, ni les bains d'Aix-la-Chapelle. Je serais passé à côté de Facebook, de Twitter, d'Instagram, de Pinterest. Je n'aurais jamais entendu parler de l'iPhone. Je serais passé à côté de centaines de films, de livres, de nouveautés. Je n'aurais pas assisté à l'élection de Barack Obama, ni même jamais rien su de ce dernier. Il y a tant de personnes que je n'aurais pas connues. Les enfants de mon frère, notamment.

Tout ça à cause d'une imprudence. Tout ça à cause d'un plongeon.
J'avais vingt ans, depuis dix jours à peine.

Ce blog n'aurait donc jamais existé.

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