Ce qu'il m'aura fallu de temps pour tout comprendre
Je vois souvent mon ignorance en d'autres yeux
Je reconnais ma nuit je reconnais ma cendre
Ce qu'à la fin j'ai su comment le faire entendre
Comment ce que je sais le dire de mon mieux
Parce que c'est très beau la jeunesse sans doute
Et qu'on en porte en soi tout d'abord le regret
Mais le faix de l'erreur et la descente aux soutes
C'est aussi la jeunesse à l'étoile des routes
Et son lourd héritage et son noir lazaret
[…]
Charlatan de soi-même on juge obligatoire
Ce qu'un simple hasard vous a fait prononcer
Demain ce n'est qu'un son jeté sur le comptoir
Ce qu'on peut à vingt ans se raconter d'histoires
Et l'avenir est tributaire du passé
On se croit libre alors qu'on imite On fait l'homme
On veut dans cette énorme et plate singerie
Lire on ne sait trop quelle aventure à la gomme
Quand bêtement tous les chemins mènent à Rome
Quand chacun de nos pas est par avance écrit
On va réinventer la vie et ses mystères
En leur donnant la métaphore pour pivot
On pense jeter bas le monde héréditaire
Par le vent d'une phrase ou celui d'un scooter
Nouvelles les amours avec des mots nouveaux
[…]
Regardez ces jeunes gens Qu'est-ce qui les pousse
Comme ça vers les bancs de sable les bas-fonds
Ils n'avaient après tout de neuf que la frimousse
Eux qui faisaient tantôt les farauds ils vont tous
Où les songes d'enfance à la fin se défont
Bon Dieu regardez-vous petits dans les miroirs
Vous avez le cheveu désordre et l'œil perdu
Vous êtes prêts à tout obéir tuer croire
Des comme vous le siècle en a plein ses tiroirs
On vous solde à la pelle et c'est fort bien vendu
Vous êtes de la chair à tout faire Une sorte
De matériel courant de brique bon marché
Avec vous pas besoin d'y aller de main morte
Vous êtes ce manger que les corbeaux emportent
Et vos rêves les loups n'en font qu'une bouchée
[…]
Et puis je les rencontre après les ans d'orage
Dans cette face éteinte où flambe le défi
Qu'ont-ils feint qu'ont-ils fui quels affronts quels outrages
Pour tomber dans quel gouffre et subir quel naufrage
Quelle faim leur a fait cette biographie
[…]
Où sont les regards purs où sont où sont les neiges
Où les illusions les cœurs intransigeants
Cet air qui me revient jadis le fredonnais-je
Seuls les fers ont marqué le sable du manège
Les chevaux au dehors suivirent d'autres gens
Il n'est plus rien resté de nos fontaines vives
La rouille a recouvert la lampe d'Aladin
On a laissé le vent disperser la lessive
Toute chose a perdu sa lumière excessive
On a loti le rêve et loti le jardin
Je ne sais trop comment l'on entendra ma plaine
Ni si l'on saura voir dans cette Passion
L'homme à la fin sorti de l'ancien labyrinthe
Et par-delà l'objet restreint des scènes peintes
Le recommencement des générations
[…]
Aragon
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