Vous souvenez-vous de cette époque lointaine où le like facebookien n'avait pas encore été inventé ? On finit par l'oublier : au départ, Facebook ne permettait pas de liker à tout-va. Il était impossible de savoir si tel ou tel ami avait lu tel article, vu telle vidéo, découvert tel site, appris telle nouvelle. À moins, bien sûr, de le lui demander directement.
C'était il y a quatre ou cinq ans. Peut-être un peu plus. Nous vivions paisiblement sur les terres vierges de ce nouvel eldorado : les médias sociaux. Comme les pionniers américains, nous dessinions jour après jour une “nouvelle frontière”, progressant innocemment dans cet univers inconnu et merveilleux.
Sous dépendance
Aujourd'hui, nous “likons”, nous “tweetons”, nous “plussoyons”, nous “épinglons”… chaque réseau social comporte ses propres boutons ; et la plupart des blogueurs, soucieux de donner à chaque billet sa chance, intègrent cet arsenal d'outils de partage dans le code-source de leur blog.
Le like facebookien était le péché originel. L'ouverture d'un nouveau paradigme où l'on se préoccupe plus de savoir si un article a été partagé par une multitude de personnes que de savoir s'il en a véritablement intéressé une seule.
Sans lecteur, un texte n'est rien
En même temps, c'est assez normal, cette évolution. Ça rejoint une grande question philosophique, soulevée notamment par Schopenhauer : le monde existe-t-il si je n'existe pas ?
“Un soleil et des planètes sans un œil pour les voir, ni un entendement pour les connaître, peuvent certes s'énoncer par des mots, mais ces mots sont, pour la représentation, une contradiction dans les termes”.
Une chaise existe-t-elle en tant que telle si personne, jamais, ne s'assied dessus ?
Si vous n'étiez pas arrivé, par hasard, sur ce blog ; si vous n'aviez pas trouvé le courage de lire ces lignes - contrairement à tous ces autres internautes qui se contentent de parcourir en un coup d'œil la page qui s'offre à leur regard -, si vous n'étiez pas en ce moment en train de parcourir chacun de ces mots, ce que j'énonce en ce moment n'existerait pas pour vous.
“Du premier œil qui s'est ouvert, fût-il celui d'un insecte, l'existence de ce monde tout entier, son existence pour lui-même et en lui-même, reste toujours dépendante, comme d'un moyen nécessaire à sa connaissance, et sans lequel on ne peut pas même le penser : car il est de part en part représentation et il a besoin, en tant que tel, du sujet connaissant comme support de son existence”.
À vot' bon cœur
Sans le “like”, sans le “retweet”, ce billet de blog n'est (presque) rien. Pour le faire exister, il faut désormais le lire, le relire, puis le partager, et le partager encore.
Chaque nouveau partage est un battement d'aile supplémentaire dont la vie de ce papillon dépend (c'est beau, je sais).
Un texte qu'on ne lit pas, ou qu'on ne lit plus, n'a plus d'existence propre, dans la mesure où il est écrit pour être lu, comme une musique est faite pour être écoutée, une image créée pour être vue, une lettre envoyée pour être reçue.
Alors si ce que vous venez de lire vous a intéressé, un tant soit peu, likez, partagez, commentez, tweetez, épinglez, plussoyez !
Comme vous le savez à présent, c'est une question de vie ou de mort, pour ce billet de blog.
Cette réflexion me perturbe. Au delà de l'ego-réalisateur que ce billet illustre parfaitement, je ne peux pas être totalement d'accord avec cette proposition.
RépondreSupprimerIl me semble qu'il existe des textes qui ne sont plus lus, ce qui n'enlève rien à leur qualité intrinsèque. Le lecteur, en participant à l'expérience par la lecture, révèle la création, mais ne lui permet pas d'exister.
Je ne pourrais être définitif, mais quelques éléments de réflexion complémentaires :
- chaque lecteur (pour les textes, mais ça marche avec à peu près tout) détient sa propre lecture. On ne lit pas tous de la même manière.
- cette proposition supposerait que la qualité ne serait jugée que par le volume de ses lecteurs. Ce qui me gêne à plusieurs égards.
Mais comme toujours, merci pour ce beau miroir
Merci pour le commentaire, et le partage.
RépondreSupprimer- En effet, chaque lecteur fait vivre le texte à sa manière, dans sa façon très personnelle de découvrir et d'interpréter chaque mot. D'une certaine façon, le lecteur "réanime" un texte qui, sans lui, resterait dans un état de congélation perpétuelle.
- Le titre et la conclusion de ce billet sont un peu provocateurs, certes. Ce qui m'intéressait surtout, c'était l'idée que tous ces compteurs - que je critique bien souvent - permettent malgré tout aux blogueurs/auteurs de prendre le pouls de la perception de leurs articles, de leur réception par ceux qui prennent le temps de les lire.
Bravo pour cet excellent article mêlant web et philosophie.
RépondreSupprimerJ'apprécie beaucoup tes articles ayant un certain recul sur nos pratiques d'internautes/blogueurs/lecteurs.
A te relire
Merci pour ce commentaire très sympathique ! Tu es ici chez toi, reviens donc quand bon te semble ! :)
RépondreSupprimerÀ bientôt !