Ce matin, de bonne heure, Julie s'est réveillée, à demi, et a jeté un œil au cadran de l'horloge. Celle-ci s'était arrêtée pendant la nuit, à minuit vingt précisément. La lumière du jour baignant déjà la chambre, Julie, inquiète, eût l'impression étrange qu'il était déjà midi vingt, quand son corps lui indiquait n'avoir pas dormi autant. De fait, il n'était que sept ou huit heures du matin.
Ô temps, suspends ton vol
Après avoir constaté que les aiguilles de l'horloge ne tournaient plus, elle se rendormit paisiblement. Mais lorsque nous nous réveillâmes de nouveau, quelques heures plus tard, elle fixa une nouvelle fois le cadran de l'horloge quelques secondes. Une phrase lui revint par hasard à l'esprit, qu'elle murmura doucement : “Ô temps, suspends ton vol !”.
Nous connaissions tous les deux ces mots, mais pas l'ensemble du poème de Lamartine, que nous cherchâmes du coup sur Internet. Julie le lut sur son iPhone, à voix basse. Il commençait ainsi :
“Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?”
Ainsi, une succession de causes - la panne soudaine d'une horloge blanche achetée des années plus tôt, un réveil prématuré, un souvenir diffus qui refaisait surface, un iPhone à portée de main - m'a permis d'entendre ce poème ce dimanche matin.
“Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons !
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
(…) Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?”
Causes multiples
Il fallait aussi, bien sûr, que Lamartine eût écrit ces lignes un jour, au XIXe siècle ; il était nécessaire que d'autres hommes les apprennent, les partagent, les enseignent, pour qu'elles nous soient un jour inculquées ; que d'autres hommes encore inventent Internet ; que quelqu'un pensât à réécrire cette poésie en ligne, consultable gratuitement.
C'est ce que je voulais dire par créer ses propres motifs (à lire ici). Toute chose découle d'une autre. Par conséquent, plus on prend le temps d'apprendre, de s'intéresser à tel ou tel sujet, de lire, d'échanger ; plus on fait l'effort de découvrir, de rêver, d'imaginer ; plus on décide de ne pas se contenter du peu que l'on sait déjà, plus on a de chance d'entendre, un dimanche matin, les vers langoureux d'un poète génial.
Chères lectrices, chers lecteurs, créez, inventez, partagez, rêvez, dessinez, projetez, chantez, vivez ! D'autres femmes, d'autres hommes, vous seront éternellement reconnaissants de toutes ces créations, de toutes ces inventions, de tous ces rêves et de tous ces desseins.
Ah, et puis, enivrez-vous, aussi !
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