Aujourd'hui, j'aborde un sujet essentiel, sujet philosophique par excellence, mais qui demande un peu d'effort et de concentration. Vous êtes prévenus. J'espère avoir votre attention.
Tout ce qui advient, de l'anecdote la plus insignifiante à l'événement le plus considérable, provient d'une cause, ou plus exactement de la conjonction d'une quantité phénoménale de causes.
Spinoza est assez convaincant en la matière : “Toute réalité singulière, autrement dit, n'importe quelle chose finie, qui a une existence déterminée, ne peut exister ni être déterminée à opérer si elle n'est déterminée à exister et à opérer par une autre cause qui elle aussi est finie, et a une existence déterminée”. Etc. Cette formule peut-être prolongée indéfiniment.
“Rien, donc, ne peut naître de rien, nous devons l'admettre, puisque tout a besoin de semence pour se former et s'élever dans les tendres souffles de l'air”. Lucrèce
Par suite, aucune pensée n'existe librement, si ce n'est en apparence. Tout acte de volonté n'est que le fruit de coïncidences.
Ainsi, vouloir quelque chose, ce n'est qu'accoucher d'un long processus de décision et de volonté, lui-même forgé par le temps et par des causes innombrables. Pour redonner la parole à Spinoza : “L'esprit est déterminé à vouloir ceci ou cela par une cause qui elle aussi est déterminée par une autre. Et celle-ci, à son tour, par une autre. Et ainsi de suite, à l'infini”.
Tout est coïncidences
Le libre-arbitre en tant que tel devient vite une notion illusoire. En effet, dès lors que je veux quelque chose, c'est bien qu'un certain nombre de coïncidences m'amènent à vouloir ceci, plutôt que cela. Si bien qu'en introduisant d'autres affects, d'autres motifs de décision, je pourrais tout aussi bien vouloir autre chose. Mais sans ces affects et ces motifs de décision, je ne peux vouloir que cette chose.
Schopenhauer l'exprime très bien lui aussi : “Imaginons un homme qui, se trouvant par exemple dans la rue, dit à lui-même : "il est six heures du soir, ma journée de travail est terminée. Maintenant, je peux faire une promenade ; ou je peux aller au club ; je peux aussi monter sur la tour pour contempler le coucher du soleil ; je peux aussi aller au théâtre ; je peux aussi rendre visite à tel ami, ou à tel autre ; oui, je peux aussi sortir par la porte de la ville pour explorer le vaste monde et ne plus jamais revenir. Tout cela dépend uniquement de moi, j'ai toute la liberté de le faire ; mais maintenant, je ne fais rien de tout cela, et c'est non moins volontairement que je rentre à la maison, auprès de ma femme".
Des causes déterminantes
Schopenhauer nous dit ceci : “c'est exactement comme si l'eau disait : "je peux faire de hautes vagues (mais oui ! quand la mer est agitée par une tempête), je peux me précipiter comme un torrent impétueux (mais oui ! dans le lit d'un fleuve), je peux retomber en écumant et en bouillonnant (mais oui ! dans une cascade), je peux m'élever librement dans l'air comme un jet d'eau (mais oui ! dans une fontaine), enfin, je peux même m'évaporer et disparaître (mais oui ! à 80° de chaleur) ; mais je ne fais rien de tout cela, et je reste volontairement tranquille et limpide, dans mon étang miroitant".
Et de conclure : “comme l'eau ne peut faire toutes ces choses que si des causes déterminantes se produisent et l'amènent à faire ceci ou cela, tout homme ne peut faire ce qu'il prétend pouvoir faire que dans les mêmes conditions”.
Ce n'est pas facile à comprendre, cette histoire. Souvent, il faut un peu de temps pour digérer cette idée et l'accepter pleinement. En effet, c'est à la fois évident, et particulièrement perturbant. Évident parce qu'il va de soi que toute chose découle d'une autre, et ne naît pas ex nihilo.
L'illusion du bon vouloir
Une pensée absolument libre ne pourrait germer que dans un esprit neuf, sans subconscient, sans influence, sans fragilité, sans rêve, c'est-à-dire sans âme ; perturbant, parce que l'on éprouve paradoxalement souvent la sensation que l'on pense et que l'on agit librement.
“Je naquis. Le reste en découle.” Victor Segalen
Mais l'idée selon laquelle on est libre de nos choix, de nos pensées, n'est qu'une illusion. L'illusion du bon vouloir. “Je peux faire ce que je veux ; je peux, si je le veux, donner tout ce que je possède aux pauvres et par là devenir pauvre moi-même - si je le veux ! - mais je ne suis pas capable de le vouloir ; parce que les motifs qui s'y opposent me dominent beaucoup trop pour que je puisse le faire. En revanche, si mon caractère était différent, au point d'être un saint, je pourrais le vouloir, et je serais par conséquent obligé de le faire”.
Merci de votre attention.
Je vous laisse à présent partager cet article librement, si vous le voulez bien.
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