C’est assez contraignant, d’avoir toujours raison. Vous abordez un sujet - n’importe lequel - et il apparaît clairement, au bout de quelques minutes, que votre position est la bonne. Quelqu’un affirme une contre-vérité, vous le remarquez, et lui faites remarquer, immédiatement. Votre interlocuteur s’efforce de vous convaincre, mais vous savez pertinemment que c’est peine perdue. Il n’y a pas d’échange possible, pas de dialogue, pas de débat. C’est une perte de temps pour vous.
Convainquez-moi !
Contra factum, non datur argumentum. ("Contre un fait, il n’existe pas d’argument"). C’est indiscutable, irréversible, indéniable. À ce propos, Socrate était assez convaincant, lorsqu’il expliquait qu’il valait mieux avoir tort sur un sujet qu’avoir raison, dans une discussion. Dans le premier cas, vous sortiez de la conversation plus instruit, vous aviez eu la chance de pouvoir corriger une erreur. Dans le second, rien ne change pour vous. Vous n’avez fait que convaincre votre contradicteur, so what ? C’est un service que vous lui avez rendu. Pour vous, ça ne change pas grand chose.
Disant cela, Socrate avait raison, d’ailleurs. Comme toujours.
Si l’on considère les choses de cette façon, il vaut mieux avoir toujours tort. À condition de s’en rendre compte, continuellement, et d’apprendre sans cesse. Car dans le cas contraire, on serait dans le déni, dans la résignation, dans la malhonnêteté : en un mot comme en cent, dans la mauvaise foi.
L'art de la mauvaise foi
Bien plus que le rire, la mauvaise foi est le propre de l’Homme. C’est une invention géniale de l’intelligence humaine : cette capacité à refuser d'accepter l'évidence, cette persévérance immorale.
Il y a un ouvrage que je vous recommande chaudement : L’Art d’avoir toujours raison, d’Arthur Schopenhauer. Il reprend en partie l’œuvre d’Aristote, qui savait convaincre, lui aussi, en usant parfois d’une mauvaise foi absolue.
Extrait :
“Lorsque l’on désire tirer une conclusion, il ne faut pas que l’adversaire voie où l’on veut en venir, mais quand même lui faire admettre les prémisses un par un, l’air de rien, sans quoi l’adversaire tentera de s’y opposer par toutes sortes de chicanes. S’il est douteux que l’adversaire admette les prémisses, il faut établir des prémisses à ces prémisses, faire des pré-syllogismes et s’arranger pour les faire admettre, peu importe l’ordre. Vous cachez ainsi votre jeu jusqu’à ce que votre adversaire ait approuvé tout ce dont vous aviez besoin pour l’attaquer”.
“Lorsque l’on désire tirer une conclusion, il ne faut pas que l’adversaire voie où l’on veut en venir, mais quand même lui faire admettre les prémisses un par un, l’air de rien, sans quoi l’adversaire tentera de s’y opposer par toutes sortes de chicanes. S’il est douteux que l’adversaire admette les prémisses, il faut établir des prémisses à ces prémisses, faire des pré-syllogismes et s’arranger pour les faire admettre, peu importe l’ordre. Vous cachez ainsi votre jeu jusqu’à ce que votre adversaire ait approuvé tout ce dont vous aviez besoin pour l’attaquer”.
Ou encore :
“Tirer de fausses conclusions : il s’agit de prendre une proposition de l’adversaire et d’en déformer l’esprit pour en tirer de fausses propositions, absurdes et dangereuses que sa proposition initiale n’incluait pas : cela donne l’impression que sa proposition a donné naissance à d’autres qui sont incompatibles entre elles ou défient une vérité acceptée”.
“Tirer de fausses conclusions : il s’agit de prendre une proposition de l’adversaire et d’en déformer l’esprit pour en tirer de fausses propositions, absurdes et dangereuses que sa proposition initiale n’incluait pas : cela donne l’impression que sa proposition a donné naissance à d’autres qui sont incompatibles entre elles ou défient une vérité acceptée”.
Brillant, tout simplement.
Débattre avec un adversaire pour convaincre un auditoire
Dans tous ces stratagèmes, ce que Schopenhauer tente surtout de nous faire comprendre, c'est que l’idée n’est pas de convaincre l’adversaire, mais l’auditoire. Tous ceux qui vous écoutent, tous ceux qui vous regardent débattre. Ce sont eux, ces silencieux, ces invisibles, à qui vous vous adressez avant tout. Seuls eux comptent véritablement.
Pour conclure, un court passage de l'excellente série The West Wing, que je vous recommande encore plus chaudement :
Cher Basile, j'ai le souvenir de plusieurs soirées passées à ne pas parvenir à se convaincre mutuellement... Mais si personne ne sort de la discussion en ayant changé de position au moins se sera-t-on diverti un peu (et aussi énervé parfois, mais c'est aussi du divertissement!).
RépondreSupprimerTrès chère Esther, je suis d'accord avec toi. Surtout, chaque discussion permet aussi d'avancer, de nuancer son propre propos, sa propre opinion, et ainsi de progresser.
RépondreSupprimerCela va de soi. :) Hâte de revoir tes petits !… et de débattre avec eux, quand ils seront un peu plus grands, aussi.
Je découvre ton blog aujourd'hui.
RépondreSupprimerY trouver là réunis mon livre de chevet du moment et la série US que je prise entre toutes, c'est une friandise matinale...
Y lire des mots justes, une langue travaillée, un enchantement...
La poésie et les idées sont le fond et la cerise à la fois.
Dans ce billet précis, il me semble qu'il y a autre chose, tacitement, ce qu'on garde du débat, le plaisir de la joute, l'adrénaline de l'émulation, la longueur en bouche des mots choisis qui ont fait mouche et qui valent largement la peine d'avoir raison et de le dire.
MERCI ! Je reviendrai souvent.
Anne
Merci à toi Anne, reviens quand bon te semble ! :)
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