Accéder au contenu principal

La valeur de l'éphémère

Après la consécration de la conversation, et en particulier du texte – avec les messageries instantanées, les SMS et aujourd’hui Twitter -, l’image redevient centrale dans les nouvelles technologies. Le regain d’intérêt pour des sites comme Pinterest en est une démonstration récente. C’est aussi pour cette raison que j’ai tenu à assister à la conférence où se trouvait Kevin Systrom, le PDG d’Instagram, au SxSW. 

Le thème de cette conférence* consistait à déterminer si l’essor phénoménal de la photographie mobile (plus d’un tiers de l’ensemble des photographies prises en 2011 l’ont été depuis un smartphone) encourageait la créativité, ou engendrait au contraire de  la médiocrité.
Kevin Systrom est d’abord revenu sur l’aspect social d’Instagram (à noter que l’application compte désormais 27 millions d’utilisateurs, et fonctionnera prochainement sous Android). Selon son créateur, le partage de photographies ne doit pas se limiter aux simples “likes” attribués par vos followers aux images que vous postez. “Certaines personnes retirent leurs photos au bout de 6 minutes s’il n’y a pas eu suffisamment de likes” ; cela ne doit pas être la seule motivation pour les utilisateurs.

Lever la tête, et regarder autour de soi


L’enjeu pour nous [Instagram], c’est de parvenir à encourager les gens à photographier et à partager leur photo sans attendre un retour spécifique”.


Pour préciser son propos, le fondateur a interpelé les personnes présentes dans la salle : “Combien de temps par jour passez-vous sans votre téléphone mobile ?”. De fait, chacun passe un temps fou penché sur son mobile, à utiliser telle ou telle application. En particulier au SxSW, bien entendu. “La différence entre Instagram et la plupart des réseaux sociaux mobiles, c’est que pour prendre une photo, vous devez lever la tête, voir le monde autour de vous”, explique-t-il.
Il y aurait beaucoup à dire, d’ailleurs, sur ce que l’on voit quand on lève la tête, dans les rues d’Austin, où se tient le festival SxSW. Des geeks, des personnes qui vous offrent un tee-shirt ou d’autres goodies si vous postez un tweet, des écrans géants, des cow-boys, des cosmonautes, des iPhones géants, des cerfs en peluche…



Mais quelle sera l’évolution de la photographie mobile, à présent que le seuil de maturité est largement dépassé ? À quoi peut-on s’attendre, quand on sait que désormais, sur Instagram, 60 à 90 photos sont mises en ligne toutes les secondes ?
L’enjeu, selon Kevin Systrom, c’est de présenter des tendances, à partir de ces contenus. Nous retrouvons ici un thème central cette année au SxSW : que faire de toutes ces données accumulées depuis ces dernières années, et qui ne cessent d’augmenter ? Comment en tirer du sens, sinon une histoire collective ?

Des détails de vie, pour une histoire commune

Avec toutes les questions connexes, bien sûr, soulevées notamment par Jenn Thom (IBM Research) : comment rétribuer les contributeurs ? “Même lorsque l’on s’exprime sur une plate-forme publique, l’information, le contenu que nous partageons doit nous appartenir d’une manière ou d’une autre”, estime-t-elle.

Les médias sociaux permettent de créer des histoires collectives ; des récits composés de micro-histoires. Instagram fait partie de cet ensemble là. Et pour reprendre les termes de Verna Curtis (Library of Congress) : “il y a une valeur historique à l’éphémère”.


Saisir immédiatement les tendances

L’innovation attendue est donc celle qui permettra d’analyser en temps réel des données générées sur plusieurs médias sociaux, de façon à donner du sens – un sens élargi – à tout cela. C’est en tout cas la conviction de Drew Harry, chercheur au MIT. “Il ne s’agit plus de laisser se passer les choses, pour les analyser ensuite. Il faut pouvoir les saisir immédiatement”, souligne-t-il. (C’est d’ailleurs le projet sur lequel il travaille, dans des perspectives d’éducation notamment : Tin Can Project).

Voici donc l’une des tendances de demain : l’alliance de l’instantané et du long terme, de la génération de données et de l’analyse immédiate, du récit individuel et de l’histoire collective.

Comment, à partir des détails de vie (voir l'article consacré à ce sujet), parvenir à bâtir une Histoire commune ? 
Car c'est bien de cela qu'il s'agit.

* Is our photo-madness creating mediocrity or magic ?

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Derrière les mots et les images des médias sociaux

J amais il n'y avait eu de si longues périodes de silence sur mon blog. Aucun post depuis février. Je crois que j'avais besoin de prendre un peu de recul. De m'interroger aussi sur ma présence en ligne. Allez savoir si c'est l'âge - le mien, d'ailleurs, ou celui d'Internet - ou autre chose encore : mais on finit par se poser des questions sur ces mots qu'on donne à lire. C'est sans doute à force de consulter les plateformes sociales. Toutes ces images, ces vidéos, ces sourires affichés, qu'on voit quotidiennement. En sachant aussi ce qu'ils cachent. C'est notre époque : nous possédons des outils de plus en plus performants pour communiquer, mais ce que nous communiquons est souvent loin de ce qui nous anime véritablement. Souvent loin de ce que nous sommes. En résulte sans doute parfois un certain mal-être, qui est compensé par ces mêmes outils numériques nous offrant des solutions de méditation ou des cures de sommeil. C'est la montr

Puisqu'il faut vivre avec

J e ne sais même pas par où il faudrait commencer. Ce n'est finalement pas simple d'écrire face à une situation inédite, imprévisible, surprenante, historique. J'ai plutôt l'habitude de décrire ici de petits aspects du quotidien, de partager des réflexions personnelles, sans grande prétention. Soudain, le monde s'écroule. Tenir un blog en pleine crise sanitaire mondiale apparaît quelque peu illusoire.  J'écrivais pourtant, sur ce même blog, il y a plusieurs années maintenant, ce sentiment de vivre depuis ma naissance le temps des crises perpétuelles . J'entendais parler depuis toujours - du moins était-ce mon sentiment - de crise. Crise de l'éducation nationale, crise du travail, crise identitaire, crise de l'hôpital, crise écologique bien sûr, crise migratoire, crise économique, j'en passe et des meilleurs. La crise était devenue la norme. Et c'est de nouveau le cas, il me semble. Nous vivons l'époque d'une crise continue.

Pourquoi j'aime la Poésie

J e ne saurais expliquer comment m'est venue l'envie d'apprendre par cœur des poèmes, quand j'avais une dizaine d'années. Bien sûr, il y avait des livres chez moi. Des bibliothèques qui accordaient une place non négligeable à la poésie. Bien sûr, j'aimais ces recueils, qui s'ouvraient d'eux-mêmes aux pages les plus précieuses, offrant ces mots qui disaient tout  en disant  peu . " Il faut peu de mots pour dire l'essentiel ". Bien sûr, j'avais la chance d'avoir, à portée de la main, Aragon, Baudelaire, Éluard, Reverdy ou Rimbaud. Et puis, il y avait mon arrière-grand-père, cet héritage culturel transmis dès le plus jeune âge. Ce Victor Segalen dont je pouvais parcourir les ouvrages originaux. Pour sentir ce papier proche d'un papyrus, soigneusement plié entre deux plaques de bois fines que tenait jointes un ruban. Ça aide, d'avoir ainsi dès l'enfance une admiration pour l'écriture. Et une raison supplémentaire