Les premières réactions, ou réactions primitives, sont rarement les meilleures. Quelque soit le sujet, il est souvent nécessaire d'y regarder à deux fois. Je suis le premier sans doute à me faire une idée trop rapide sur les choses, mais j'ai conscience qu'il est essentiel de prendre du recul avant de se forger une réelle opinion. J'aimerais ici parler d'un exemple récent qui illustre cet impératif.
Réactions prématurées
Cette semaine, les affiches de promotion du film Les Infidèles ont beaucoup fait parler d'elles. Pour les quelques personnes (parmi mes lecteurs avertis) qui sont passées à côté, voici à quoi ressemblent ces affiches :
Pour être tout à fait sincère (même si ce n'est pas le sujet), j'ai trouvé ces affiches plutôt marrantes, de prime abord. Et je ne suis pas le seul, apparemment, puisque de nombreuses personnes ont réagit vivement en apprenant qu'elles allaient être retirées de la voie publique dans les jours à venir.
Pour la petite histoire en effet, suite à plusieurs plaintes déposées auprès de l'ARPP (l'autorité de régulation professionnelle de la publicité), l'afficheur JC Decaux a décidé de mettre un terme à cette campagne d'affichage.
Je ne compte plus le nombre de tweets que j'ai vu apparaître, juste après cette annonce, pour dénoncer pèle-mêle “la censure”, “la bêtise récurrente des autorités”, “le manque d'humour des féministes”, etc. Tout le monde y allait de son commentaire, se scandalisait face à cette décision présentée comme arbitraire et contraire à la liberté d'expression. L'indignation - grande valeur des temps modernes - semblait partagée par tous.
On trouvait même, sur Internet, notamment sur le site du Nouvel Obs, des billets virulents de personnes qui, bien que “féministes”, ne comprenaient pas cette décision : “peut-on se considérer comme féministe et trouver ce retrait dommage à défaut de scandaleux ? Oui, et c'est d'ailleurs mon cas”, commence ainsi Dom. B., âgée de 50 ans, “chroniqueuse du quotidien et de l'air du temps” (la description est bien choisie).
Sommes-nous vraiment pudibonds ?
Il faut préciser les choses. Ne pas se tromper de débat. Ne pas s'indigner vainement, sans réfléchir une seconde, en s'imaginant un État totalitaire qui paralyserait notre démocratie et notre liberté.
La foule n'a pas toujours raison, c'est le moins que l'on puisse dire. Notre société ne va pas si mal. Notre droit nous protège encore, sans nous étouffer.
Juste une mise au point
Procédons, si vous le voulez bien, par étapes :
1. La campagne allait s'achever de toute façon.
C'est le Nouvel Obs qui le rappelle dans un autre article sur le sujet : “la mesure [du retrait des affiches] est avant tout symbolique, puisque cette campagne d'annonce devait de toute façon cesser à la fin de la semaine”. Beaucoup de bruit pour rien pourrait-on dire ! Ce qui est intéressant, c'est qu'à titre personnel je n'ai entendu personne se dire choqué par ces affiches. Personne. Rien, pas un mot.
Autrement dit : l'objet du scandal était clairement le retrait des affiches, plus que les affiches elles-mêmes.
Savoir que cette campagne s'achevait de toute façon en fin de semaine est une information qu'il faut donc prendre en compte, pour mesurer l'empressement des indignés et des défenseurs de la libre expression.
2. Les réactions étaient prévisibles, et même prévues.
Attention : je suis le premier à défendre cette fameuse liberté d'expression. Mais je tiens simplement à rappeler qu'il y a de vrais sujets d'indignation, et qu'en l'occurrence, les réactions étaient à la fois disproportionnées (dans l'absolu, il s'agit d'un film avec Jean Dujardin, pas d'une grande œuvre théâtrale qui mériterait davantage un tel soutien populaire), mais ces réactions étaient surtout prévisibles.
Il ne faut pas être un expert en communication pour savoir que de telles affiches risquent de créer la polémique. Or c'est justement le but. Si cette campagne était volontairement courte, c'est que les personnes chargées de promouvoir ce film avaient bien entendu anticipé le cours des événements.
Ces affiches sont très bien pensées, parce qu'elles sont suffisamment choquantes pour qu'une plainte soit déposée auprès de l'ARPP, et suffisamment consensuelles pour obtenir le soutien du public.
Toute la polémique, tous les articles écrits à ce sujet, tous les tweets, tous les statuts Facebook, tous les billets de blog reprenant les affiches, et - bien souvent - la bande-annonce du film, en vidéo, participent sans le savoir au plan de communication initial.
En s'indignant contre un ennemi imaginaire, certains se sont faits les premiers porte-parole d'un film qu'ils n'ont pas encore vu et qu'ils n'aimeront peut-être pas.
3. Parler de censure est absurde.
C'est plus fort que moi. Entendre parler de censure me hérisse le poil. Ça me donne de l'urticaire. Nous vivons dans une société qui, sur certains aspects, mérite d'être réparée, cela va de soi, mais il ne s'agit pas d'une société pudibonde où règne la censure. Ce fut le cas, dans notre histoire. Ce n'est pas le cas, aujourd'hui. Il ne faut pas se tromper de colère. Ni de siècle.
Comment fonctionne la régulation de la publicité ? Est-ce l'État qui interdit ces affiches pour protéger les bonnes mœurs ? La réponse est “non”, bien évidemment. S'il y a certaines règles juridiques pour encadrer la communication, il y a surtout une autorégulation du métier publicitaire, pour éviter justement que l'État n'intervienne trop brutalement.
L'ARPP est là pour ça. Elle formule certaines règles générales que les annonceurs s'empressent de suivre pour éviter des dérapages trop violents. Si des personnes se plaignent auprès de cette autorité indépendante, celle-ci demande à ce que le tir soit corrigé. La décision est publique. Elle est même en ligne. Il n'y a donc pas de censure à proprement parler. Ce sont les publicitaires eux-mêmes qui choisissent de retirer ces affiches. Et comme je le disais à l'instant, ces derniers savent pertinemment jouer des codes de leur métier pour faire parler des campagnes qu'ils promeuvent.
Pour conclure, je rappellerai ces mots de Ferdinand Buisson :
“Il existe déjà, je le sais, une puissance qu'on nomme l'opinion publique : je demande qu'elle se transforme et devienne la conviction publique. L'opinion passe, la conviction reste”.
Il les a écrit en 1898 dans “Le Devoir Présent de La Jeunesse”. Un ouvrage qu'il faudrait relire plus souvent. Se forger une opinion est utile. Suivre ses convictions est primordial.
Voilà donc où je voulais en venir :
Notre liberté d'expression n'est pas menacée par le retrait des affiches du film “Les infidèles”. J'espère que vous en êtes désormais convaincus.
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