Certains jours, quand la pluie tombe lentement sur la ville, que les passants ont mauvaise mine, que le bus se traîne avec peine dans les embouteillages, que les gens s'impatientent, râlent, toussent, se bousculent, qu'une couche de buée recouvre peu à peu les vitres, enlevant au passager distrait son dernier plaisir autorisé, celui de rêver en regardant les lumières des phares dans la nuit, l'envie de partir vivre à la campagne se fait particulièrement forte.
Marcher tranquillement en forêt, entendre craquer les feuilles mortes sous ses pas, enfoncer ses bottes dans les flaques boueuses, caresser du bout des doigts le tronc d'un chêne. Espérer croiser une biche au détour d'un chemin, pour l'observer s'enfuir au travers des arbres. Apprécier le retour du soleil, le jeu d'ombres et de lumière, l'éternelle beauté de cette alchimie singulière. Franchir les fougères, éviter les ronces, enjamber les ruisseaux, faire rouler les cailloux sous ses pieds, gravir une colline boisée, rejoindre un nouveau chemin… Autant de plaisirs naturels qui manquent parfois au parisien que je suis.
Promenade
Comme la chanson de Brassens La chasse aux papillons, comme le poème de Rimbaud Sensation (à retrouver ici), comme La Chèvre de Monsieur Seguin, comme Cigalou (un album du Père Castor) comme le travail du photographe Chris Morin, qui transforme l'espace urbain en savane africaine, certaines créations artistiques, certains contes, me séduisent particulièrement, parce qu'ils me laissent imaginer des échappées belles.
Ah, si les villes étaient à la campagne… Si l'on pouvait concilier les deux ! Un jour, sans doute, quelqu'un inventera la télétransportation. De toutes les inventions imaginées par l'homme, depuis des siècles, c'est sans doute en effet l'une des seules qui n'est pas effectivement mise au point aujourd'hui. Nous communiquons en une seconde avec le monde entier, nous voyageons à grande vitesse, nous pouvons nous géolocaliser : dans quelques temps, il faudra bien pouvoir se dématérialiser et se rematérialiser. C'est la moindre des choses.
Saut dans l'espace
Alors, enfin, je pourrais faire des promenades lorsque la journée s'achèvera, avant de revenir chez moi pour dormir en écoutant la pluie tomber sur les toits de la ville. Le matin, j'irais voir la rosée perler sur l'herbe fraîche du jardin, avant d'aller travailler. Vers midi, je pourrais déjeuner au coin du feu, avant de faire une (courte) promenade digestive.
Le seul risque, avec la télétransportation, c'est que tout le monde soit tenté d'aller dans des contrées lointaines, de l'autre côté de la terre. Le bronzage deviendrait alors très vite désuet, car il serait à la portée de tous. Les voyageurs n'existeraient plus : il n'y aurait que des touristes zappeurs, insolents, perpétuellement insatisfaits.
Tout bien réfléchi, certaines inventions ne sont pas aussi souhaitables qu'elles y paraissent. Leur apparition dans un court ou moyen terme est d'autant plus compromise, par conséquent.
Un jour, peut-être, je parviendrai malgré tout à concilier la ville et la campagne.
Le mieux, pour cela, c'est encore que je rejoue au Loto un de ces quatre… pour imposer mes exigences à un architecte ambitieux.
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