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Comme par hasard

J'ai toujours été convaincu que la plupart des choses arrivent par hasard. Cela ne signifie pas sans raison, bien sûr : il y a nécessairement une cause, une origine, un motif. Mais ce qu'on récolte en fin de compte, bien souvent, est avant tout le fruit d'un concours de circonstances, à mon avis. On ne réussit qu'à condition ; et si l'on peut parfois mettre les chances de son côté, on ne peut garantir un succès au préalable. Il faut accepter la potentialité d'un échec. Il faut se convaincre que certaines incidences nous échappent, que tout n'est pas contrôlable. 

The future's not ours to see

Habituellement, on fait précisément le contraire.
On cherche à mesurer, à prédire, à prévoir, à calculer les probabilités, à analyser les courbes d'évolution. On refuse de ne pas savoir par avance, on réfute le que sera, sera, on rejette les aléas. C'est la raison pour laquelle on peine à s'endormir la veille d'un examen, d'un entretien, ou d'une réunion capitale.
Il n'y a plus rien à faire, mais cette idée est proprement insupportable.
Certaines expressions en elles-mêmes nous fourvoient : il ne faut rien laisser au hasard par exemple. Ne rien laisser au hasard est absurde. Il y a toujours une place, quelle qu'elle soit, pour l'imprévisible.


Arriver premier à un concours de circonstances

Lorsque tout se passe comme prévu, lorsqu'on obtient ce pour quoi on s'était préparé, on a tendance à oublier l'ensemble des circonstances favorables qui ont accompagné cette réussite. À l'inverse, bien entendu, lorsqu'un incident fâcheux vient contrefaire un projet, on accorde à la malchance une place prépondérante. 
Nul vainqueur ne croit au hasard” Nietzsche
Peut-être que Napoléon a perdu la bataille de Waterloo car la pluie battante de la veille avait freiné le placement de l'artillerie - comme le raconte très bien Victor Hugo, et j'y viens -, mais c'est au génie de l'homme qu'on attribue la réussite d'Austerlitz, et non aux conditions météorologiques clémentes.
On ne se souvient la plupart du temps des circonstances que lorsque celles-ci sont malheureuses.

“S'il n'avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l'avenir de l'Europe était changé. Quelques gouttes d'eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d'Austerlitz, la providence n'a eu besoin que d'un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contre-sens de la saison a suffi pour l'écroulement d'un monde. 
La bataille de Waterloo, et ceci a donné à Blütcher le temps d'arriver, n'a pu commencer qu'à onze heures et demie. Pourquoi ? Parce que la terre était mouillée. Il a fallu attendre un peu de raffermissement pour que l'artillerie pût manœuvrer”. 
(…)
Supposez la terre sèche, l'artillerie pouvant rouler, l'action commençait à six heures du matin. La bataille était gagnée et finie à deux heures, trois heures avant la péripétie prussienne”. 

Le triomphe hasardeux

La réussite dépend pourtant aussi de la providence. Au moins autant. Pas de force supérieure, pas de bonne étoile, juste une succession d'événements imprévisible et pourtant déterminante.


C'est la raison pour laquelle je préfère la philosophie de Cyrano :

“Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !

Garder le mérite pour soi

Triompher par hasard. Voilà un concept plaisant.
Cela ne signifie pas que l'on ne possède aucune marge de manœuvre. Nous sommes libres - en partie, au moins - de faire des choix, d'opter pour telle ou telle stratégie, d'orienter notre action d'une façon ou d'une autre, d'abattre nos cartes immédiatement ou plus tard, etc.

Il ne faudrait pas se dire que tout advient par hasard : une telle perspective amènerait quiconque à se laisser porter, sans jamais chercher à faire quoique ce soit. Cela conduirait à un monde inerte, peuplé d'individus sans envie, sans motivation, et surtout sans espoir.

Mais il faut avoir conscience que notre liberté est conditionnée, que notre action s'inscrit dans une réalité plus complexe, que nos choix sont quelque peu contraints.


Voilà pourquoi il faut - à mon sens - garder autant que possible - le mérite pour soi.

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