Ces derniers temps, il y a plein de bons films au cinéma. Je le sais, car j'en ai vu beaucoup : Drive, Les Intouchables, Tintin, Les Bien Aimés, Polisse, La Guerre est déclarée, autant d'excellents longs métrages que j'ai pu voir à Odéon, parfois en avant-première. Sans compter un film des frères Cohen vu au Champo, et qui valait le détour.
C'est une bonne période, en particulier pour les gens qui, comme moi, possèdent la carte UGC illimité. Tout le monde connaît cette carte, aujourd'hui, je pense. La plupart des cinéphiles, en tout cas. C'est la carte VIP qui permet de passer devant tout le monde, avec un grand sourire, pour récupérer ses places. On paye une fois par mois, et on peut se rendre 200 fois au cinéma pour le même prix, si on le souhaite.
Délimiter l'illimité
“Grâce à la carte UGC illimité, vous pouvez voir autant de films que vous le souhaitez, assister à toutes les séances de notre activité cinématographique courante, tous les jours de l'année”.
Cette présentation sommaire - que l'on retrouve sur le site Internet des cinémas UGC - est pour le moins séduisante. On oublierait presque de nous dire que cela a un coût, assez élevé, malgré tout. Mais au-delà de la définition officielle, l'illimité en tant que tel mérite réflexion. C'est en en discutant avec une amie - Hélène, pour ne pas la nommer -, que j'ai pris conscience de l'importance de ce sujet.
L'illimité, c'est l'abondance, la profusion ; la liberté d'en reprendre encore, et encore. C'est le free refill, le buffet à volonté. On ne paye qu'une fois. On achète le droit de consommer, voire de surconsommer. Pour avoir bonne conscience, pour rentabiliser cet achat originel, on a intérêt à se resservir de nombreuses fois. Le maximum est le mieux.
L'avantage pour le client, c'est ce sentiment de liberté que lui procure cette carte magique. C'est toujours agréable d'être privilégié, d'avoir un traitement de faveur. Mais de quelle liberté parle-t-on ? Une liberté contrainte, délimitée. D'abord le prix, mensuel : première condition sine qua non. Ensuite diverses règles, établies dans un contrat que le client signe au préalable. Et c'est tout à fait normal, d'ailleurs, dans l'absolu.
Dépasser les bornes
Ce qui est assez amusant, au niveau de la terminologie, c'est qu'une personne qui souscrit à un programme illimité (il n'y a pas que la carte de cinéma, on pourrait parler des cartes de voyages, par exemple) possède une carte qui lui permet de se rendre à une borne.
L'illimité et la borne sont bien souvent inséparables.
La carte illimitée implique également une idée de loyauté, que le client doit à sa marque. Des droits, donc, mais aussi des devoirs. On gagne la liberté d'aller de façon démesurée à nos cinémas préférés (bon, en l'occurrence, moi, ça m'arrange bien, parce qu'à Odéon il y a deux UGC et un MK2), mais on perd celle de se rendre dans d'autres salles obscures. En effet, on ne paye pas plus de 30 € par mois pour dépenser de nouveau 10 € par-ci par-là. Il ne faut pas déconner.
L'envers du décor, c'est donc une adhésion implicite. Ou, pour le dire autrement, derrière le Dior, j'adore, la marque attend secrètement un Dior, j'adhère.
On le sait, d'autant plus qu'aujourd'hui les marques demandent souvent à leurs fans de s'engager, de s'impliquer. Comme le souligne le site Emarketing.fr, “le principe de fidélisation est inhérent à la relation commerciale”. Sur les médias sociaux, on veut des ambassadeurs de la marque. On veut offrir des avantages à des clients fidèles, pour qu'ils demeurent fidèles, justement.
Déclarer forfait
C'est devenu monnaie courante, dans les stratégies de marketing, de proposer aux clients des forfaits sur mesure. “Ne vous embarrassez pas avec des paiements récurrents, aléatoires, prenez un abonnement et vivez en toute liberté” prônent les marques. Les opérateurs téléphoniques ont tous construit leur modèle économique sur ce principe, et tout le monde semble s'en accommoder.
Mais quand on y pense, c'est assez singulier.
Si on pousse le modèle jusqu'au bout, si toutes les entreprises s'y mettaient, la situation deviendrait étrange. Dans l'absolu, on n'aurait plus besoin de payer quoi que ce soit : notre paye irait directement alimenter l'ensemble des forfaits auxquels on aurait souscrit au préalable, et le tour serait joué.
On aurait un abonnement cinéma, bien sûr, un abonnement téléphonique et Internet, cela va sans dire, un abonnement Transport, comme c'est déjà le cas, mais aussi un abonnement boulangerie, un abonnement Grande Surface, un abonnement Essence, un abonnement Librairie, un abonnement Vestimentaire, etc.
Plus d'argent sur le compte courant. Juste un virement, mensuel, pour renouveler l'ensemble des programmes de fidélisation.
On serait libre de faire tout ce que l'on veut, d'acheter gratuitement n'importe quoi, dans un cadre prédéfini, qui pourrait se redéfinir à tout moment, en fonction des habitudes de consommation. Le pouvoir d'achat serait total, d'une certaine manière, mais aussi directement limité par le contre-pouvoir de l'abonnement. Le “vouloir d'achat” serait en tout cas diminué.
Se dirige-t-on vraiment vers cela ? Est-ce souhaitable ? Qu'est-ce que cela implique concrètement ? Je ne sais pas très bien. Mais, une nouvelle fois, ces forfaits au nombre illimité (pour le coup), méritent qu'on y attache une attention particulière.
Car, il faut le reconnaître, on finit par s'y habituer.
“Un être qui s'habitue à tout : voilà, je crois, la meilleure définition que l'on puisse faire de l'homme” écrivait Dostoïevski. A fortiori, c'est une définition qui correspond tout à fait au consommateur.
J'aime beaucoup ton article, que j'ai trouvé très bien écrit et intéressant. Bon, après je n'adhère pas forcément à tes arguments (car moi qui vais au cinéma à fois par jour, la carte est très utile, et à euros pour ugc, pas 30). Mais je t'ai trouvé très agréable à lire, alors bravo. Voilà. Parceque quand c'est bon, ça mérite bien un petit commentaire :)
RépondreSupprimerTiens tant que j'y suis je balance mon blog de critique : http://jecritique.eklablog.com/ .
Merci pour ce commentaire.
RépondreSupprimerJe ne réponds pas directement aux questions que je pose, et crois-moi, je suis le premier à profiter pleinement de cette fameuse carte illimitée, même si à force ce type de programmes m'interpelle.
Je m'en vais de ce pas découvrir ton blog.
Bonne soirée !
"Tout le monde connaît cette carte, aujourd'hui, je pense."
RépondreSupprimerNon, je ne connaissais pas, car j'ai la chance de ne pas habiter Paris, et il n'y a pas d'UGC là où je vis (Perpignan).
Se pose alors un autre problème, non abordé ici, qui est celui du non-choix.
A Perpignan, il y a 3 complexes de salles (ce qui n'est déjà pas si mal), mais plus aucun cinéma indépendant.
Dans tout le reste du département des Pyrénées-Orientales, il ne reste que 3 ou 4 salles qui ne diffusent qu'un film par semaine.
Cela montre bien l'immense fossé qui sépare les préoccupations d'un parisien de celles d'un habitant du reste de la France.
Ceci dit, je suis d'accord avec l'ensemble de ton analyse, et je ne t'en veux pas d'être parisien. :) Il faut juste parfois savoir se mettre à la place des "provinciaux".
La carte UGC n'est pas réservée aux parisiens (sans vouloir me défendre).
RépondreSupprimerEt certains cinémas de grande qualité, comme le Champo, bénéficient de la carte UGC illimité, donc ce n'est pas si mal.
Mais ce type de format fait réfléchir, je trouve, et appelle à la vigilance. D'où ce billet, justement :)