Je me retrouve face à cet écran d'ordinateur, les doigts déjà suspendus au-dessus du clavier, dans l'obscurité de la nuit. La voix de Nick Drake s'échappe des baffles posées sous l'escalier, et parvient à mes oreilles. Lorsque l'on écrit comme ça, sans raison particulière, et qu'on décide de laisser s'imprimer sur la Toile ces mots qui viennent en désordre, par la pensée, on le fait souvent de façon inconsidérée. C'est comme si l'on s'asseyait au bord d'un chemin, ou au sommet d'une montagne, pour regarder sa vie en fixant l'horizon. En écrivant, on prolonge simplement cet exercice. Le but étant de donner un sens à tous ces mots, c'est-à-dire à la fois une signification, bien sûr, mais aussi une sensation, un sentiment, une perception.
Il faut savoir se lancer.
Je me souviens de certains soirs avec des amis, à discuter sans se soucier du dernier métro, à rire, à se raconter nos vies, nos histoires. Je me souviens de veillées familiales, de soirées d'anniversaire, où chacun avait sa place, et retrouvait son regard d'enfant en voyant s'approcher le gâteau illuminé quand on éteignait la lumière. Je me souviens de confidences, autour d'un café, dans un jardin, sur une plage, au détour d'un boulevard. Là, c'est la même chose, à quelques différences près. Je m'adresse à je-ne-sais-qui, sans savoir très bien pourquoi. Mais dans le fond, je recherche les mêmes impressions. Un moment, simplement.
Tout à l'heure, j'ai ouvert un livre, qui était posé sur la table, près de moi. Un livre que je n'avais pas encore lu. En voici les premières lignes, sur la première page :
“Que reste-t-il d'une vie ? Qu'est-ce qui, une fois éliminés les parce que quoique donc en effet néanmoins, reste d'une vie ? De la subtile tessiture d'une vie ? Très peu de choses. Quelques moments forts, trois, quatre, cinq. Vingt peut-être, dans les existences trépidantes. On vit, au jour le jour, dans l'exagération des petits événements, j'ai fait ceci, pas fait cela, et telle démarche à entreprendre, et du retard à rattraper, des urgences à résoudre, des engagements à honorer, mais au décompte final, rien ou si peu de toutes ces années, et même décennies, qui restera”.
Quand on écrit, bien sûr, c'est aussi pour qu'il reste quelque chose. C'est pour transmettre, c'est pour faire parvenir, c'est pour communiquer. Mais c'est avant tout pour soi, pour figer l'instant, pour le suspendre, en cessant d'exagérer “les petits événements” pour mieux se confronter à l'immensité de l'existence. Pour mieux apprécier la vie, dans ce qu'elle a de plus grand. Pour mieux se souvenir ensuite de ces petites choses, de ce très peu qui vaut tant.
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