“Ah, que ce dernier jour de septembre est donc beau !” proclame Roxane dans le dernier Acte de Cyrano de Bergerac. Elle ne sait pas encore que celui-ci va mourir, dans quelques minutes, et devant elle qui plus est, en lui avouant tout, après tant d'années. Au moment où elle prononce cette phrase, elle est tout à fait sereine, appréciant ce jour de beau temps, et cet automne qui commence tout juste, avec les premières feuilles des arbres qui se mettent doucement à tomber. Ce que Cyrano commente si bien d'ailleurs :
“Comme elles tombent bien !
Dans ce trajet si court de la branche à la terre,
Comme elles savent mettre une beauté dernière,
Et malgré leur terreur de pourrir sur le sol,
Veulent que cette chute ait la grâce d'un vol !”
Je pense que je me replongerai toute ma vie dans l'œuvre d'Edmond Rostand, tant celle-ci contient de pépites. C'est ce que j'aime dans la littérature : lire une seule phrase peut vous faire changer de regard sur les choses de la vie. Je sais que je regarde tomber les feuilles différemment depuis que je connais ces vers géniaux.
En ce “dernier jour de septembre”, si beau, Roxane ne pressent rien de ce qui va advenir. De la même façon, ce matin, l'avant dernier jour de septembre, je ne m'attendais à rien non plus. Je me suis levé simplement, avec France Inter, comme toujours ; j'ai pris une douche, je me suis habillé, je me suis préparé un café, que j'ai bu. Je suis sorti de chez moi, et j'ai constaté qu'il faisait incroyablement beau.
Rien n'est plus beau qu'un ciel bleu en automne.
J'ai marché, le long du trottoir de la rue des Écoles, vers mon arrêt de bus. Il y avait quelque chose d'étrange. Beaucoup de voitures avançaient péniblement, et klaxonnaient, alors que cette rue est habituellement vide à cette heure de la journée.
Là, tout semblait bloqué, et cet embouteillage matinal me surprenait.
Je continuais mon chemin, les écouteurs sur les oreilles, et parvenais au Boulevard Saint-Michel.
J'ai immédiatement compris, en arrivant à cet endroit, la cause de tous ces encombrements. Sur la voie d'en face, deux camions de pompier ; plusieurs agents de sécurité ; un bus (21) à l'arrêt, et sans passager ; et là, sur le bitume, à quelque distance devant le bus, une personne allongée, inconsciente, que deux secouristes tentaient de réanimer.
Ça ne devrait jamais arriver. Pas un jour comme ça. Pas quand il fait si beau. Je sais, c'est débile de dire ça, mais c'est ce que j'ai profondément ressenti. On ne s'attend jamais à ce que quelque chose arrive à quelqu'un quand tout semble aller si bien globalement. Trop habitués que nous sommes aux films qui nous préparent au pire en nous proposant une atmosphère lugubre, une pluie battante, un ciel qui s'obscurcit…
J'ai un peu honte de ce billet de blog. Je ne connais pas cette personne qui gisait ce matin sur le boulevard Saint-Michel. Je ne sais rien d'elle. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Il n'y avait plus de traces de l'accident ce soir, quand je suis rentré du travail. Tout était de nouveau normal.
Mais c'est un de ces bus que je prends quasi quotidiennement, depuis que je suis enfant, qui a provoqué cet accident, dans ce quartier que je connais si bien, au croisement de deux rues que j'arpente si souvent. C'est chez moi que ça s'est passé, d'une certaine façon.
Et il n'y avait rien à faire. Il n'y a pas de vrai responsable. Le conducteur de bus conduisait peut-être un peu vite. La victime a peut-être été imprudente un instant. Trop pressée d'aller au travail, sans doute. Mais il n'y a pas de vrais coupables, pas de vraie faute. C'est aussi ça qui est insupportable.
ça m'encourage à lire Edmond Rostand, tiens
RépondreSupprimerPas de honte à avoir, c'est bien d'être encore capable de s'indigner de telles choses.
RépondreSupprimerSauf à le dire comme vous l'avez fait, et si bien.
RépondreSupprimerBrigitte Dusch