L'e-réputation est aujourd'hui un sujet galvaudé, qui se trouve toujours au centre des questions que se posent les entreprises, dans la définition de leurs stratégies online. Les consultants, spécialistes, et autres experts des réseaux sociaux développent tout un argumentaire sur l'image que l'on doit donner sur Internet, et sur la façon d'y parvenir.
Pourquoi autant d'analyses, autant d'infographies, autant d'outils consacrés à ce sujet ?
L'e-réputation, question existentielle
C'est sans doute que la question de l'e-réputation est une question existentielle, au sens propre. C'est-à-dire une question d'existence. Nicole Aubert, professeur à l'ESCP, et Claudine Haroche, directrice de recherche au CNRS, sociologue et anthropologue (*), ne s'y trompent pas, dans leur ouvrage Les Tyrannies de la visibilité, Être visible pour exister ? aux éditions Erès.
Dans un article paru dans Le Monde du lundi 21 février, voilà ce qu'elles soulignent, à ce propos :
“[Aujourd'hui], il faut rendre visible l'activité de chacun sous peine qu'elle ne soit pas prise en compte. L'individu est considéré, jugé, à travers la quantité de signes qu'il produit et il est incité à en présenter de façon incessante”.
Selon ces deux spécialistes, l'injonction “je suis vu donc je suis”, a de réelles conséquences, notamment sur ce que l'on décide de cacher, de garder pour soi. “L'espace intérieur, la part de soi-même la plus profonde ne se donne pas à voir. En acceptant d'être réduits à ce que nous offrons au regard, que devient cette intimité de soi qu'on appelait le for intérieur ?”, écrivent-elles. Et d'ajouter : “On peut se demander si la possibilité de conserver un espace intérieur ne constituera pas bientôt un enjeu civilisationnel majeur”.
Faut-il être visible pour exister ou, comme je le soutenais dans un précédent post (“Je me fais suivre, sur Twitter”) exister pour être mieux suivi, accepté, apprécié (“suis-moi, car je suis moi”) ? L'un ne va pas sans l'autre, sans doute. La visibilité est bien peu de choses si l'on ne donne rien à voir.
Reste que si l'on expose son intimité au regard des autres, celle-ci devient une “extimité”, pour reprendre l'expression du psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron.
Le retour de l'honneur
Mais il faut s'arrêter un peu plus sur la notion même de réputation. Si j'ouvre un dictionnaire, je tombe d'abord sur l'étymologie du mot : en latin, reputatio signifie - littéralement - “évaluation”. Il s'agit donc bien d'être “considéré, jugé” comme l'écrit Claudine Haroche.
La définition du mot, qui arrive ensuite, précise les choses : la réputation, c'est “le fait d'être honorablement connu du point de vue moral”. Il s'agit donc non seulement d'une question d'existence, mais aussi d'une question d'honneur.
“Il est plus facile de s'arranger avec sa mauvaise conscience qu'avec sa mauvaise réputation”. Nietzsche
L'honneur avait une place considérable dans notre société, aux siècles précédents. Laver son honneur, cela signifiait quelque chose. Surtout lorsqu'on le lavait dans le sang.
Je ne peux m'empêcher de faire le rapport avec la situation actuelle. Il ne s'agit plus de laver son honneur, aujourd'hui, mais de nettoyer sa réputation en ligne. On est dans le même champ lexical, même si c'est légèrement moins violent désormais.
Toujours est-il qu'une réputation se fait, se défait, mais qu'il en reste quelque chose. C'est un élément fondamental, qu'il faut prendre en considération. Ce qui se passe sur Internet demeure pour le moment inscrit dans le marbre virtuel.
Une mauvaise réputation peut sérieusement nuire à un homme. A fortiori à une entreprise. D'où l'importance du personal branding, cher à Fadhila Brahimi.
Une mauvaise réputation peut sérieusement nuire à un homme. A fortiori à une entreprise. D'où l'importance du personal branding, cher à Fadhila Brahimi.
“Au village, sans prétention, j'ai mauvaise réputation, qu'je m'démène ou qu'je reste coi, je passe pour un je-ne-sais-quoi”. Brassens
Les médias sociaux sont un champ d'honneur. Chacun y bataille pour défendre une partie de lui-même. Nombreux sont ceux qui croisent le fer. Nicolas Bordas organisera bientôt sur son blog des joutes d'internautes. L'honneur revient donc au centre.
De l'e-réputation à l'e-répudiation
Dans l'absolu, mal gérer sa réputation peut être préjudiciable. Effet de rejet, de rupture, de bannissement. En un mot, e-répudiation.
On se souvient de Jessi Leonhardt, une Américaine de 11 ans, qui est devenue en quelques jours le bouc émissaire de centaines d'internautes, payant au prix fort une forme d'arrogance qui ressortait des vidéos qu'elle postait d'elle-même sur Internet.
On se souvient de Jessi Leonhardt, une Américaine de 11 ans, qui est devenue en quelques jours le bouc émissaire de centaines d'internautes, payant au prix fort une forme d'arrogance qui ressortait des vidéos qu'elle postait d'elle-même sur Internet.
Comment conclure ce billet ? Peut-être en rappelant la phrase de Shakespeare : “La réputation est un préjugé vain et fallacieux : souvent gagnée sans mérite, et perdue sans justice".
(*) spéciale dédicace à Michelle
Merci Basile, j'apprends toujours quelque chose dans ton blog.Ton e-reputation n'est plus a faire.....et elle n'est pas vaine.....
RépondreSupprimercar il faut faire attention a la vanite des choses....mais tu es loin d'etre vain.....
Maryvonne
Un beau billet qui ouvre le débat sur d'autres notions. Je ne peux qu'y souscrire. Depuis longtemps, je considère que le débat sur l'identité numérique renvoie à des questions existentielles; pour cette raison j'ai adopté les termes de "stratégie de présence" (ex d'illustration : ou, comment, avec quoi et avec qui exister dans cet espace infini ?)
RépondreSupprimerLes outils, les graphs ... le comble des consultants ? - Dans une phase d'évangélisation les croquis aident à populariser, structurer et communiquer avec le cerveau gauche ;-)
Excellent billet Basile ...
RépondreSupprimerTu aurai meme pu y integrer mon article de l atelier ;););)
Merci, un bel article qui suscite une réflexion. Etre vu, se montrer à voir ou à entendre pour exister...Au risque d'être évalué...
RépondreSupprimerI think community management is not safe for e reputation as it may give negative by public
RépondreSupprimerJe partage cette analyse et lorsque j'accompagne des dirigeants dans la construction de leur e-réputation,rapidement se posent des questions d'identité : d'où est ce que je parle lorsque je m'exprime sur le web, est-ce moi en tant qu'individu, est-ce moi en tant que salarié de l'entreprise ou est-ce l'entreprise à travers moi. Et cela ne se réduit pas à l'indiquer dans son statut (compte personnel etc...) mais à chercher le dénominateur commun entre les 3 espaces. En isoler les valeurs communes pour pouvoir s'exprimer de façon authentique, garantir une cohérence dans les messages et y puiser l'inspiration....
RépondreSupprimerExcellente contribution. C'est toujours un plaisir de lire des articles de qualité ; je relaie!
RépondreSupprimer"si l'on expose son intimité au regard des autres, celle-ci devient une extimité"...
RépondreSupprimerJe trouve intéressant d'aborder la question de la frontière vie privée/vie numérique... et du droit à l'oubli sur Internet.
L’aspect fluctuant du web fait parfois oublier que les écrits restent...La toile porte bien son nom : tout ce que vous écrivez ou publiez y reste accroché.
Rappelez-vous l'ouvrage de Jeff Jarvis, "tout nu sur le web": http://www.redacteur-concepteur.fr/jeff-jarvis-nu-sur-le-web/
Merci d’avoir abordé ce sujet qui est au cœur de nos préoccupations !
RépondreSupprimerEn tant que thérapeute conjugale, je constate que bcp de personnes et de couples se sentent dépassés par ce phénomène dans la tourmente socio-virtuelle, finalement la question qui se pose ( et s’impose !) : « Comment exister sans renoncer à soi-même ? » à réfléchir..