Fin 2010. Nous sommes tous liés, interconnectés, nous formons des réseaux, les chercheurs font de nous des “nœuds”, étudient les attaches qui nous relient les uns aux autres, les toiles qui se tissent sans cesse. Nul n’est seul, désormais. Les liens n’ont jamais été aussi serrés entre les hommes.
Et nous sommes déjà habitués à cet état de fait, pourtant récent. Nous ne sommes plus surpris d’avoir quelques centaines de contacts, sur Facebook. Cela va de soi.
Pourtant, si l’on y réfléchit bien, et si l’on force le trait, le cauchemar n’est pas loin. Je fais partie d’un réseau de plusieurs millions d’inconnus. Des dizaines écoutent ce que je murmure sur Twitter et lisent ce que j’écris sur mon blog. L’hyper-socialisation. Ne surtout pas passer à côté de la dernière info valant quelque chose. Rester en permanence aux aguets.
Si seuls
Pourtant, tous les individus de cette foule d’invisibles semblables se sentent sans doute seuls, aussi, de temps en temps (remarquez l’allitération). Si seuls. J’aime l’idée que l’on puisse mettre ce mot au pluriel : seuls.
Je les imagine tous, derrière leurs écrans, à parcourir des yeux leur “wall”, leur “inbox”, leur “timeline”. Depuis leur mobile, depuis leur ordinateur portable, dans le bus, le train, ou chez eux.
Qu’attendent-ils en particulier ? Qu’espèrent-ils ? Je ne sais pas ce que j’attends moi-même. Si. En fait je crois savoir. Si je passe autant de temps sur les médias sociaux, c'est que j’espère apprendre quelque chose. Découvrir un texte, des images, que je vais pouvoir partager à mon tour.
Dont je vais pouvoir parler.
Attention
C’est une affaire d’attention, finalement. Aussi étrange que cela puisse paraître, nous sommes aujourd’hui dans une société contemplative. Si chacun des membres de tous ces réseaux sociaux prenaient autant la peine de s’arrêter, dans la rue, dans le bus, dans le train, même chez eux, pour être attentifs à ce qui advient autour d’eux.
Ils verraient des images, ils imagineraient des histoires.
S’ils écoutaient, même d’une oreille distraite, ce que se disent les personnes assises juste à côté, dans le café. S’ils observaient avec attention les passants, leur mine, leur démarche. S’ils savaient observer derrière les vitres. Ils sauraient ce qu'ils manquent, sans doute.
“Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus profond, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant, qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : "Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ?" Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?”
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