Cette fois, il n'est pas question de relier Nietzsche à un concept publicitaire. Aucun scoop aujourd'hui. Après en avoir fait le précurseur de l'idée disruptive, je ne vais pas affirmer ce soir que le philosophe est le véritable inventeur de la Creative Business Idea (Euro RSCG) ou de la Lovemark (Saatchi & Saatchi). Ni qu'il est à l'origine des affiches 4x3, ou de la communication 360° off et online.
Nietzsche n'incarne pas tout à fait la figure du publicitaire, de toute façon. Je ne crois pas que l'on puisse dire de lui qu'il était un grand communicant. Il errait la plupart du temps seul, voyageait beaucoup, avec son ombre. C'est d'ailleurs en marchant que lui venaient ses idées. Ce qui l'amena à s'en prendre avec virulence à Flaubert, qui soutenait qu'on “ne peut penser et écrire qu'assis” :
“Je te tiens, nihiliste ! Être cul-de-plomb, voilà, par excellence, le péché contre l'esprit ! Seules les pensées que l'on a en marchant valent quelque chose”.
Je me trouve assis, pour ma part, à pianoter sur le clavier. Cela m'embarrasse un peu, naturellement. Tant pis, je poursuis. Ce qui est agréable, avec nombre d'œuvres philosophiques, et en particulier avec Ainsi Parlait Zarathoustra, c'est que rien n'y est pré-mâché. Contrairement à la grande majorité des messages publicitaires justement, on doit se confronter au texte, le ruminer pour le comprendre. Et dans le même temps, heureusement, certaines formules viennent presque immédiatement faire sens.
Cas de conscience
Voici quelques lignes du Crépuscule des idoles, que chacun peut lire et comprendre à sa façon. Et qu'il est bon de lire, de temps en temps. Quelques “cas de conscience” - pour reprendre les termes de Nietzsche - à méditer :
“Tu marches en avant ? Es-tu le pasteur du troupeau ? Ou bien une exception ? A moins, c'est une troisième possibilité, que tu ne sois un fuyard ?… Premier cas de conscience.
J'en reviens à la communication. Ce que je connais de la philosophie nietzschéenne se limite à quelques pages, de quelques livres parcourus au hasard. Pourtant, je pense pouvoir dire sans me tromper que l'une des constantes de cette pensée philosophique consiste à prôner la destruction des tables, la déstabilisation des idoles. Remettre en question, aller par-delà, se défaire de tout ce que l'on a appris, de tout de ce que l'on sait, ou de ce que l'on croit savoir. Oublier. Faire table rase. Renaître pour reconnaître. Pour revenir au monde.
Voilà sans doute un impératif dans le domaine de la communication, aujourd'hui.
Je me suis attaché à démontrer dans un mémoire, cette année, l'importance de la preuve en communication. Le public est lassé, la publicité n'a pas la cote. Par conséquent, il est nécessaire d'avoir un discours probant, d'avancer des arguments, de fonder sa communication sur des actions concrètes. Faire savoir, plutôt que de se limiter à prôner un soi-disant savoir-faire.
Mais l'importance d'une approche véritablement créative, et originale, s'impose également aujourd'hui. Si un pourcentage élevé de personnes se lassent de la publicité, c'est que les codes sont connus, déchiffrés, et que certaines modes publicitaires finissent par donner un sentiment de déjà vu aux consommateurs. De plat réchauffé.
Les exemples ne manquent pas. De la même façon que de nombreux journalistes se contentent de piocher chez le voisin un sujet pour écrire un article, quand ils ne se limitent pas à reproduire une dépêche AFP, les agences de communication préfèrent parfois reprendre une vieille recette, une idée qui a porté ses fruits, plutôt que de repartir à zéro pour créer.
Bien souvent, il suffit de s'inspirer de ce que font les concurrents. Alors, juridiquement, il n'est pas possible de reprendre tel quel le contenu d'une publicité portée par une autre agence. Cette dernière peut tout à fait lancer une action de justice, en réclamant des dommages et intérêts pour parasitisme.
Mais malgré tout, il suffit d'ouvrir un magazine, ou de marcher dans la rue, pour prendre conscience que certaines modes prévalent dans la communication. Il n'y a pas si longtemps, le greenwashing permettait de constater en permanence que nombre d'entreprises souhaitaient reverdir leur image, pour mieux la redorer.
L'une des modes, aujourd'hui, c'est celle des prénoms dans la publicité. J'attends un dossier d'adtimes à ce sujet. Ce serait intéressant. Une mode déjà bien ancrée, omniprésente, qui surfe sur le succès des émissions de téléréalité et sur l'individualisme contemporain. Voilà que Thomas, d'EDF, a compris les attentes de Valéry et de Serge, pour leur nouvelle maison. Valentine donne des cours particuliers via Acadomia. Lucas et Stéphanie sont heureux grâce à la RATP. Etc.
Un article de Stratégies, qui date de 2006, vaut le coup d'œil, à ce sujet. Il s'intitule “Vincent, François, Paul et les autres”.
La dernière en date, selon moi, c'est SFR. Avec leur nouvelle signature, “SFR : Carrément Vous”, que je trouve assez mauvaise, pour ma part.
Au bout d'un moment, même si ça fonctionne, sans doute, cela a quelque chose de décevant.
“Comment tu t'appelles ? - Philippe. Comment tu t'appelles ? - Philippe. Comment tu t'appelles ? - Ta gueule”. Ecouter sur deezer.
L'accumulation de publicités fades contribue probablement au désamour du public pour la publicité. La critique n'est pas difficile, bien entendu. Et c'est avant tout une solution de facilité, de la part des marques, qui leur permet de véhiculer certains messages essentiels. En reprenant cette recette des prénoms, SFR ne prend pas de risques. Le consommateur saura immédiatement ce que la marque cherche à lui dire : nous sommes là, nous nous préoccupons de nos clients, nous accordons une grande importance au service, à l'écoute, à l'humain.
De ce point de vue là, je peux même aller jusqu'à critiquer les récentes publicités d'Apple. Cela n'arrive pas tous les jours, donc profitez-en. Habituellement, je suis plutôt un fanatique de cette marque, et en particulier lorsqu'il s'agit de parler de ses stratégies de communication.
Simplement, dernièrement, ils ont reservis plusieurs fois la même soupe : l'iPod, un produit révolutionaire. L'iPhone, la révolution, encore. L'iPad, de nouveau une révolution. Le Mac Book Air révolutionne les ordinateurs portables. Ad libidum. (notez la polysémie de “ad”).
Avec, à chaque fois, pour chaque produit, toujours les mêmes : Jonathan Ive et Phil Schiller, en tête, qui nous expliquent en quoi cela va tout changer.
A force, il est difficile de prendre ces messages pour argent comptant. Même si l'iPod, l'iPhone, et l'iPad sont indiscutablement des produits innovants.
Au-delà d'Apple (qui de toute façon demeure une entreprise géniale, avec une capacité de création hors normes, et notamment dans le champ de la communication), c'est une fâcheuse tendance des publicitaires, que celle de vouloir faire du neuf avec du vieux.
Le principe même du site Joe La Pompe, qui s'amuse à mettre côte à côte les publicités originales et leurs copies conformes, démontre à quel point les publicitaires aiment chercher leur inspiration chez leurs voisins.
Le voyageur et son ombre
“Je te tiens, nihiliste ! Être cul-de-plomb, voilà, par excellence, le péché contre l'esprit ! Seules les pensées que l'on a en marchant valent quelque chose”.
Je me trouve assis, pour ma part, à pianoter sur le clavier. Cela m'embarrasse un peu, naturellement. Tant pis, je poursuis. Ce qui est agréable, avec nombre d'œuvres philosophiques, et en particulier avec Ainsi Parlait Zarathoustra, c'est que rien n'y est pré-mâché. Contrairement à la grande majorité des messages publicitaires justement, on doit se confronter au texte, le ruminer pour le comprendre. Et dans le même temps, heureusement, certaines formules viennent presque immédiatement faire sens.
Cas de conscience
Voici quelques lignes du Crépuscule des idoles, que chacun peut lire et comprendre à sa façon. Et qu'il est bon de lire, de temps en temps. Quelques “cas de conscience” - pour reprendre les termes de Nietzsche - à méditer :
“Tu marches en avant ? Es-tu le pasteur du troupeau ? Ou bien une exception ? A moins, c'est une troisième possibilité, que tu ne sois un fuyard ?… Premier cas de conscience.
***
Es-tu vrai ? Ou seulement un comédien ? Représentes-tu quelque chose, ou est-ce toi qui es représenté ? Enfin tu pourrais n'être qu'une imitation de comédien… Deuxième cas de conscience.
***
Le désillusionné parle : Je cherchais des grands hommes, et je n'ai trouvé que des hommes singeant leur idéal.
***
Es-tu de ceux qui assistent au spectacle, ou qui mettent la main à la pâte ? Ou bien de ceux qui détournent les yeux, se tiennent à l'écart ? Troisième cas de conscience.
***
Veux-tu marcher avec le troupeau ? En tête ? Ou de ton côté ?… Il faut savoir ce que l'on veut, et que l'on veut quelque chose. Quatrième cas de conscience.
***
Ils étaient pour moi comme des marches, dont je me suis servi pour monter - il m'a fallu pour cela passer sur eux, les surpasser. Mais eux pensaient que je me reposerais sur eux…”.
Déstabiliser les idoles : un impératif publicitaire
J'en reviens à la communication. Ce que je connais de la philosophie nietzschéenne se limite à quelques pages, de quelques livres parcourus au hasard. Pourtant, je pense pouvoir dire sans me tromper que l'une des constantes de cette pensée philosophique consiste à prôner la destruction des tables, la déstabilisation des idoles. Remettre en question, aller par-delà, se défaire de tout ce que l'on a appris, de tout de ce que l'on sait, ou de ce que l'on croit savoir. Oublier. Faire table rase. Renaître pour reconnaître. Pour revenir au monde.
Voilà sans doute un impératif dans le domaine de la communication, aujourd'hui.
Je me suis attaché à démontrer dans un mémoire, cette année, l'importance de la preuve en communication. Le public est lassé, la publicité n'a pas la cote. Par conséquent, il est nécessaire d'avoir un discours probant, d'avancer des arguments, de fonder sa communication sur des actions concrètes. Faire savoir, plutôt que de se limiter à prôner un soi-disant savoir-faire.
Mais l'importance d'une approche véritablement créative, et originale, s'impose également aujourd'hui. Si un pourcentage élevé de personnes se lassent de la publicité, c'est que les codes sont connus, déchiffrés, et que certaines modes publicitaires finissent par donner un sentiment de déjà vu aux consommateurs. De plat réchauffé.
Les modes publicitaires
Les exemples ne manquent pas. De la même façon que de nombreux journalistes se contentent de piocher chez le voisin un sujet pour écrire un article, quand ils ne se limitent pas à reproduire une dépêche AFP, les agences de communication préfèrent parfois reprendre une vieille recette, une idée qui a porté ses fruits, plutôt que de repartir à zéro pour créer.
Bien souvent, il suffit de s'inspirer de ce que font les concurrents. Alors, juridiquement, il n'est pas possible de reprendre tel quel le contenu d'une publicité portée par une autre agence. Cette dernière peut tout à fait lancer une action de justice, en réclamant des dommages et intérêts pour parasitisme.
Mais malgré tout, il suffit d'ouvrir un magazine, ou de marcher dans la rue, pour prendre conscience que certaines modes prévalent dans la communication. Il n'y a pas si longtemps, le greenwashing permettait de constater en permanence que nombre d'entreprises souhaitaient reverdir leur image, pour mieux la redorer.
Comment tu t'appelles ? Philippe.
L'une des modes, aujourd'hui, c'est celle des prénoms dans la publicité. J'attends un dossier d'adtimes à ce sujet. Ce serait intéressant. Une mode déjà bien ancrée, omniprésente, qui surfe sur le succès des émissions de téléréalité et sur l'individualisme contemporain. Voilà que Thomas, d'EDF, a compris les attentes de Valéry et de Serge, pour leur nouvelle maison. Valentine donne des cours particuliers via Acadomia. Lucas et Stéphanie sont heureux grâce à la RATP. Etc.
Un article de Stratégies, qui date de 2006, vaut le coup d'œil, à ce sujet. Il s'intitule “Vincent, François, Paul et les autres”.
La dernière en date, selon moi, c'est SFR. Avec leur nouvelle signature, “SFR : Carrément Vous”, que je trouve assez mauvaise, pour ma part.
Au bout d'un moment, même si ça fonctionne, sans doute, cela a quelque chose de décevant.
“Comment tu t'appelles ? - Philippe. Comment tu t'appelles ? - Philippe. Comment tu t'appelles ? - Ta gueule”. Ecouter sur deezer.
L'accumulation de publicités fades contribue probablement au désamour du public pour la publicité. La critique n'est pas difficile, bien entendu. Et c'est avant tout une solution de facilité, de la part des marques, qui leur permet de véhiculer certains messages essentiels. En reprenant cette recette des prénoms, SFR ne prend pas de risques. Le consommateur saura immédiatement ce que la marque cherche à lui dire : nous sommes là, nous nous préoccupons de nos clients, nous accordons une grande importance au service, à l'écoute, à l'humain.
“Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux” Ionesco.D'une certaine façon, il y a une forme de jeu qui s'installe. Le public déchiffre les codes de la publicité, les professionnels de la communication le savent, et peuvent reproduire un message déjà mille fois resservi, qui sera instantanément compris par la cible.
Apple, ou la révolution permanente
De ce point de vue là, je peux même aller jusqu'à critiquer les récentes publicités d'Apple. Cela n'arrive pas tous les jours, donc profitez-en. Habituellement, je suis plutôt un fanatique de cette marque, et en particulier lorsqu'il s'agit de parler de ses stratégies de communication.
Simplement, dernièrement, ils ont reservis plusieurs fois la même soupe : l'iPod, un produit révolutionaire. L'iPhone, la révolution, encore. L'iPad, de nouveau une révolution. Le Mac Book Air révolutionne les ordinateurs portables. Ad libidum. (notez la polysémie de “ad”).
Avec, à chaque fois, pour chaque produit, toujours les mêmes : Jonathan Ive et Phil Schiller, en tête, qui nous expliquent en quoi cela va tout changer.
A force, il est difficile de prendre ces messages pour argent comptant. Même si l'iPod, l'iPhone, et l'iPad sont indiscutablement des produits innovants.
Au-delà d'Apple (qui de toute façon demeure une entreprise géniale, avec une capacité de création hors normes, et notamment dans le champ de la communication), c'est une fâcheuse tendance des publicitaires, que celle de vouloir faire du neuf avec du vieux.
Le principe même du site Joe La Pompe, qui s'amuse à mettre côte à côte les publicités originales et leurs copies conformes, démontre à quel point les publicitaires aiment chercher leur inspiration chez leurs voisins.
Nietzsche, vous vous souvenez ?
“Il faut savoir ce que l'on veut, et que l'on veut quelque chose”
“Le désillusionné parle : Je cherchais des grands hommes, et je n'ai trouvé que des hommes singeant leur idéal”.
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