Je suis assis au bord d'un chemin. La pluie a cessé, mais le ciel reste nuageux. Le vent souffle dans les herbes folles. J'attends.
Je n'attends rien, mais j'attends. L'air est frais.
Face à moi, un panneau m'indique la voie. L'indication m'enjoint de poursuivre mon chemin. Mais pour le moment, je reste assis. Je songe à ma vie. Ou à la vie, en général, comme on dit. Je pense au sentiment de liberté, à la légèreté, à l'avenir, qui n'appartient pas à ceux qui se lèvent tôt - quelle aberration ! - mais bien à ceux qui espèrent. À ceux qui l'imaginent, sans cesse.
“L'idée de l'avenir est plus féconde que l'avenir lui-même” Henri Bergson
Je suis assis. Je laisse le vent “baigner ma tête nue”. Je pense aux différents chemins pris par le passé. Aux chemins de sous-bois, qui ne mènent nulle part, comme aux allées bien tracées, également empruntées. Je pense aux ronces, qui m'écorchaient les mollets, aux hautes fougères qui me barraient la vue, aux troncs immenses et beaux, aux rayons de soleil les traversant. 24 ans, et la route déjà si longue.
Avec moi Rimbaud, Rostand, Aragon.
Rimbaud. L'une des premières poésies apprises par cœur. Gravée dans mon esprit.
“Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées.
Mon paletot aussi devenait idéal.
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal :
Oh là là ! Que d'amours splendides j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre, où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied contre mon cœur !”
Edmond Rostand, qui m'a très tôt convaincu, avec Cyrano de Bergerac, de l'importance de certaines choses, dans la vie :
“…Mais, chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers !”
Et Aragon, enfin. Pour son Roman inachevé. Pour sa prose, ses poèmes.
“Tout est affaire de décor
Changer de lit, changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays
Cœur léger, cœur changeant, cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent ?”
Assis au bord du lit
Je suis assis au bord du lit. Julie écoute la radio, en préparant le déjeuner. Nous venons de ranger la maison. Je vais la rejoindre, mettre le couvert. Et je ferai la vaisselle. Sans Rimbaud, sans Rostand, sans Aragon. Ils ne peuvent pas être toujours là.
Mais je penserai à ma vie, au chemin parcouru, à l'avenir. “L'homme se tient sur une brèche, dans l'intervalle entre le passé révolu et l'avenir infigurable. Il ne peut s'y tenir que dans la mesure où il pense, brisant ainsi, par sa résistance aux forces du passé infini et du futur infini, le flux du temps indifférent”.
Je penserai à tout ça.
En laissant couler l'eau chaude sur mes mains savonneuses.
Vrai plaisir de l'automne.
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