La pensée de Blaise Pascal sur le divertissement - pensée 139 - m'a souvent rassuré. Voilà qu'un philosophe considérait comme moi l'erreur des hommes, trop occupés à l'objet immédiat de leur vie, s'agitant vainement, sans jamais vivre pleinement comme ils le devraient pourtant, puisqu'il se trouve qu'ils ont à la fois la chance et le malheur de se savoir mortels.
“Divertissement. Quand je m'y suis mis quelque fois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc. j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s'il savait demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d'une place. Ou n'achètera une charge à l'armée si cher, que parce qu'on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand j'ai pensé de plus près, et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en découvrir la raison, j'ai trouvé qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près. (…) Si [un homme] est sans ce qu'on appelle divertissement, le voilà malheureux”.
Mais aujourd'hui, je suis tenté de remettre en cause mon approbation. La pensée de Pascal est trop catégorique. Le divertissement ne consiste pas seulement à détourner ses yeux de la mort, à ne pas regarder la vérité en face (d'ailleurs, “le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement”, donc l'entreprise serait probablement vaine). Se divertir, c'est aussi tout simplement jouer, créer, se sentir humain de tout son corps, de tout son être, partager, construire, imaginer, rêver, rire. C'est peut-être aussi vivre pleinement.
Tout ce que le divertissement contient de profondeur. C'est ce qu'oublie Pascal. Je l'imagine justement, dans sa maisonette de la rue Monsieur le Prince, à deux pas de chez moi, où il a vécu de longues années, je le vois là, à sa table, la plume à la main, écoutant le silence de la nuit pour écrire ses angoisses et les dédier à la postérité.
Pascal ne prend pas le temps de comprendre pourquoi les enfants se divertissent sans cesse, par exemple. Selon son propos, ils n'en n'éprouvent nullement le besoin, car de quoi se détourneraient-ils ? Ils jouent, simplement. Car ils se construisent. Car ils y prennent un plaisir qui n'est pas superflu. Ils découvrent le temps du “jeu symbolique”, qui leur permet de mieux appréhender le monde, justement.
A lire Pascal, on imagine un enfant seul, dans sa chambre, perdu au milieu de ses jouets, en proie à un profond désespoir, qui, soudainement, déciderait d'en sortir et de jouer avec ses petites voitures. Ce qui est un contresens absolu.
Il est essentiel de se divertir, non pas stupidement, bien sûr, mais sincèrement. Se plonger dans la musique pour sentir vibrer en nous toutes les passions, courir à pleine vitesse pour perdre son souffle, dévaler la colline, rire de joie, danser, philosopher, écrire, chanter.
Il faut donc préférer lire les poèmes de Boris Vian, ou de Charles Baudelaire :
“Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous ! Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge ; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous sans cesse, de vin, de poésie, de vertu, à votre guise”.
Basile,
RépondreSupprimertu me fait comprendre plein de choses
j'aime bien te lire.....
Bonjour Basile,
RépondreSupprimerTu parles là du dilemne de ma vie: rester dans ma chambre, refuser la culture du diverstissement, les sollicitations trop nombreuses (je pensais souvent à Pascal aussi) ou... plonger dans le tumulte? J'ai compris que la question c'est de s'émerveiller du tourbillon, avec ferveur (et là, je pense à Gide), en gardant bien de se noyer.
Merci pour ton blog et pour cet extrait magnifique "Il faut être toujours ivre, tout est là".