Je reviens d'une nouvelle soirée parisienne, dans cet étrange automne de fin de juillet, pour me coucher de nouveau après une heure du matin. La soirée fût agréable. Un spectacle de Flamenco, pendant lequel je me suis laissé aller à penser à ma vie, absorbé par la musique et l'atmosphère délicieusement hispanique, les sens emportés par ces plaintes et ces danses d'un autre âge. Comme si j'étais auprès d'un feu, assis, le regard perdu dans les flammes.
Que vais-je faire ? Où en serai-je dans dix ans ? Pourquoi suis-je incapable de délaisser cette obsession ? Cesser enfin de me poser ces sempiternelles questions. Enfin. Pour me laisser porter sereinement par le cours des choses. Suivre mon instinct, comme j'en discutais avec Adrien l'autre soir. Et abandonner en même temps l'illusion d'une liberté absolue, en suivant les conseils de Schopenhauer, que je continue de découvrir (il faudrait peut-être que je varie un peu mes lectures, même si je tiens à préciser que je lis également Blast et Retour à Brooklyn, en ce moment. Je parlerai de ces ouvrages prochainement)).
Schopenhauer, donc :
“Imaginons un homme qui, se trouvant par exemple dans la rue, dit à lui-même : "il est six heures du soir, ma journée de travail est terminée. Maintenant, je peux faire une promenade ; ou je peux aller au club ; je peux aussi monter sur la tour pour contempler le coucher du soleil ; je peux aussi aller au théâtre ; je peux aussi rendre visite à tel ami, ou à tel autre ; oui, je peux aussi sortir par la porte de la ville pour explorer le vaste monde et ne plus jamais revenir. Tout cela dépend uniquement de moi, j'ai toute la liberté de le faire ; mais maintenant je ne fais rien de tout cela, et c'est non moins volontairement que je rentre à la maison, auprès de ma femme".
C'est exactement comme si l'eau disait : "je peux faire de hautes vagues (mais oui ! quand la mer est agitée par une tempête), je peux me précipiter comme un torrent impétueux (mais oui ! dans le lit d'un fleuve), je peux retomber en écumant et en bouillonnant (mais oui ! dans une cascade), je peux m'élever librement dans l'air comme un jet d'eau (mais oui ! dans une fontaine), enfin je peux même m'évaporer et disparaître (mais oui ! à 80° de chaleur) ; mais je ne fais rien de tout cela, et je reste volontairement tranquille et limpide, dans mon étang miroitant". Comme l'eau ne peut faire toutes ces choses que si des causes déterminantes se produisent et l'amènent à faire ceci ou cela, tout homme ne peut faire ce qu'il prétend pouvoir faire que dans les mêmes conditions”.
Et de poursuivre, un peu plus loin :
“Je peux faire ce que je veux ; je peux, si je le veux, donner tout ce que je possède aux pauvres et par là devenir pauvre moi-même - si je le veux ! - Mais je ne suis pas capable de le vouloir ; parce que les motifs qui s'y opposent me dominent beaucoup trop pour que je puisse le faire. Par contre, si mon caractère était différent, au point d'être un saint, je pourrais le vouloir, et je serais par conséquent obligé de le faire”.
Point d'illusion donc. Je sais très bien que les envies de partir loin, très loin, de tout abandonner, pour me chercher véritablement, et me consacrer à l'essentiel, sont des mots que je dis sans y croire. Ils sont une perte de temps. L'essentiel n'est pas dans un ailleurs. Il est là. A la portée de ma main.
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