Je rentrais, tout à l'heure, de l'Atelier vers chez moi. Il pleuvait. Je passais devant un parc. L'odeur de l'herbe et de la terre mouillée, la vue des arbres ayant retrouvé leurs feuilles, le ciel gris-bleuté, tout cela créait une atmosphère singulière, qui m'était profondément familière. Je pense que ça me rappelait mes week-end à la campagne, à Soucy.
J'aime ces soirées, où malgré la fatigue, je prends le temps d'errer un peu, de me laisser porter. De prendre conscience que j'existe, et d'observer les gens.
La veille déjà, j'étais rentré à pieds du bureau. Je m'étais arrêté sur le pont neuf, pour regarder la Seine, baignée par le soleil couchant. Je ne pouvais m'empêcher de penser au texte de Paul Valéry, sur le Pont de Londres.
“Je passais, il y a quelque temps, sur le Pont de Londres, et m’arrêtai pour regarder ce que j’aime : le spectacle d’une eau riche et lourde et complexe, parée de nappes de nacre, troublée de nuages de fange, confusément chargée d’une quantité de navires dont les blanches vapeurs, les bras mouvants, les actes bizarres qui balancent dans l’espace balles et caisses, animent les formes et font vivre la vue.
Je fus arrêté par les yeux ; je m’accoudai, contraint comme par un vice. La volupté de voir me tenait, de toute la force d’une soif, fixé à la lumière délicieusement composée dont je ne pouvais épuiser les richesses. Mais je sentais derrière moi trotter et s’écouler sans fin tout un peuple invisible d’aveugles éternellement entraînés à l’objet immédiat de leur vie.
Il me semble que cette foule ne fût point d’êtres singuliers, ayant chacun son histoire, son dieu unique, ses trésors et ses tares, un monologue et un destin ; mais j’en faisais, sans le savoir, à l’ombre de mon corps, à l’abri de mes yeux, un flux de grains tous identiques, identiquement aspirés par je ne sais quel vide, et dont j’entendais le courant sourd et précipité passer monotonement le pont.
Je n’ai jamais tant ressenti la solitude, et mêlée d’orgueil et d’angoisse ; une perception étrange et obscure du danger de rêver entre la foule et l’eau.
Je me trouvais coupable du crime de poésie sur le Pont de Londres”.
Parfois, il suffit de s'arrêter un instant. De voir tous ces autres absorbés par leur vie, pressés, hâtifs, énervés, impatients, ou, plus simplement, perdus, comme hypnotisés par “la foule d'intangibles devoirs” qui les attend. Dans ces moments là, la plupart du temps, on a envie de partir loin, très loin. De se retirer. De se libérer. De fuir.
Et puis le soir même, on écrit ce sentiment sur son blog.
Et le lendemain, on rentre dans la danse.
Là, j'aimerais me retrouver à San Francisco, il y a quelques années, avec mes amis. A contempler un autre pont, non moins prestigieux : le Golden Gate. Pleinement libre alors, en plein mois d'août.
Qui sait, j'y retournerai, peut-être ?
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