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Suis-je amoureux ? - Oui, puisque j'attends.


« À voir Paris si beau en cette fin d'automne ». La suite, tu la connais.

C'est assez étrange d'être séparés, comme ça, après trois ans de relation amoureuse. Du jour au lendemain, on ne peut se voir autrement que par la magie maussade de skype. On ne peut se voir qu'au travers d'un écran. Sur nos cinq sens, seuls deux sont comblés. Le toucher, le goût et l'odorat subissent l'absence totale, brutale et insupportable de la douceur, de la saveur, et du parfum de l'être aimé. Du jour au lendemain, on est condamné à aimer un souvenir, ou un écran. Condamné à entendre occasionnellement une voix. C'est assez perturbant.

J'ai ouvert les Fragments d'un discours amoureux de Barthes, au chapitre consacré à l'attente. Le paragraphe 5 est celui qui correspond le mieux je crois à ce que je ressens ces derniers mois :

« Suis-je amoureux ? - Oui, puisque j'attends. » (…) L'identité fatale de l'amoureux n'est rien d'autre que : je suis celui qui attend.

(Dans le transfert, on attend toujours - chez le médecin, le professeur, l'analyste. Bien plus : si j'attends à un guichet de banque, au départ d'un avion, j'établis aussitôt un lien agressif avec l'employé, l'hôtesse, dont l'indifférence dévoile et irrite ma sujétion ; en sorte qu'on peut dire que, partout où il y a attente, il y a transfert : je dépends d'une présence qui se partage et met du temps à se donner - comme s'il s'agissait de faire tomber mon désir, de lasser mon besoin. Faire attendre : prérogative constante de tout pouvoir, « passe temps millénaire de l'humanité ».)

Un mandarin était amoureux d'une courtisane. « Je serai à vous, dit-elle, lorsque vous aurez passé cent nuits à m'attendre assis sur un tabouret, dans mon jardin, sous ma fenêtre. » Mais, la quatre-vingt-dix-neuvième nuit, le mandarin se leva, prit son tabouret sous son bras et s'en alla ».

Il faut que je me remette à feuilleter Barthes. Il y a des passages qui correspondent à ce que j'attends de la littérature, qui décrivent à la perfection certains de mes états passagers.

Cette attente est nouvelle pour moi, et agit sur moi. L'absence. Le temps. Le manque. Le doute. La distance. La séparation. L'appréhension. La demi-solitude. La semi-liberté. Le silence. Le lointain. Le vide. Le compte-à-rebours. La promesse. Le retour. Les retrouvailles. L'allégresse.

J'attends puisque je suis amoureux. Je suis amoureux puisque j'attends. C'est très philosophique tout ça finalement. ^^

Forcément, il faut que l'automne vienne accentuer ce sentiment mélancolique. On n'a jamais à l'attendre très longtemps, l'automne. Les feuilles tombent raides mortes, comme toujours. Je pense à mes arrières-arrières-arrières-arrières grands parents, qui les voyaient tomber aussi. Et qui sentaient comme moi le froid s'installer. Et qui prenaient conscience, comme moi, en octobre, que le temps des bourrasques glacées, de la pluie froide et lourde, des trottoirs blanchis et durcis par le gel de la nuit, des journées raccourcies, que ce temps redouté s'installe déjà et pour si longtemps.
J'en frissonne.

Je marque un temps.

Et je me dis qu'au fond, j'aime bien l'automne. J'aime bien le soleil dans le froid. Les arbres sans feuilles. La fumée qui sort de la bouche quand on respire. Les matinées où il fait nuit. Les feux de cheminée. Les parapluies.

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