J'ai six ans. Mes yeux viennent de s'ouvrir, après une nuit délicieuse. J'ai beau être encore dans mon lit, je trépigne déjà. Je sais que les cadeaux sont là, au pied du sapin, dans le salon, à quelques mètres seulement. Je n'ai pas cherché à surprendre le Père Noël, je n'ai pas guetté cet être mystérieux dont me parlent mes parents. C'est beaucoup plus beau, plus magique, de laisser opérer en silence ce bienfaiteur qui passe, chaque année, sans laisser de trace derrière lui, si ce n'est la clémentine épluchée sur la table à manger. Et le verre de cognac, vidé.
Mon frère, déjà levé, attend devant la porte. Ma mère a le sourire aux lèvres. Mon père semble chercher dans l'obscurité le CD que l'on met à chaque fois, ce matin-là. J'ai longtemps cru que la chanteuse prononçait réellement, au moment du refrain : "c'est Noël, c'est Noël, c'est Noël…". Il y a des assonances qu'on n'oublie pas.
Mon autre frère et ma sœur arrivent enfin, et nous sommes prêts à pénétrer dans la pièce illuminée, à chanter "mon beau sapin, roi des forêts", à découvrir ces cadeaux amoncelés au-dessus des chaussures, dans une ambiance à nulle autre pareille ; avec ces bougies, ces parfums, le jour qui se lève doucement, derrière les fenêtres de la rue Gay-Lussac. Nous ne nous précipitons pas, nous ne nous jetons pas sur nos présents, pour déchirer avec force et envie ces emballages. Nous progressons dans la pièce en prenant notre temps, pour mieux goûter notre plaisir.
Je m'imagine, petit, blond, les yeux grand ouverts, le cœur battant.
"L'un des grands moyens de se rendre la vie plus légère", écrit Nietzsche, "est d'en idéaliser tous les événements". Je ne sais pas si j'idéalise le souvenir de ces matins-là, ou si, en lui-même, ce souvenir contient un idéal. Je pencherais plutôt pour la seconde option.
Je ne croyais pas seulement au Père Noël, je croyais - et j'avais raison de croire - à la magie de vivre un moment à part, avec ma famille, coupé du monde. Un moment d'absolu, où l'impatience se mêlait à la joie. Il y avait un rituel, un rythme, une ambiance, et cela revenait chaque année, quoi qu'il advienne. C'était rassurant, revigorant, c'était, et c'est toujours, précieux. Grâce à ce souvenir, j'ai l'impression d'avoir toujours six ans, le 25 décembre, au matin. Et de croire, toujours, au père Noël.
Je crois que le Père Noël préférait l'armagnac au cognac.
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