Accéder au contenu principal

Le règne du noir


Je prétends donner à ceux qui me liront, force, joie, courage, défiance et perspicacité”, écrivait André Gide dans son journal, en 1924. Je souhaiterais trouver un blogueur, aujourd'hui, un auteur, un parolier, un musicien - qu'importe ! - qui me donne “force, joie et courage”. Ce n'est pas une mince affaire. “Nous ne rencontrons d'ordinaire, parmi les gens intelligents, que des perdus, et parmi les gens d'action que des sots”. De nos jours, les gens intelligents sont tout aussi perdus qu'en 1924, et les sots le sont encore davantage.

Ce qui plaît à mes contemporains est souvent noir, triste, sombre, douloureux. Le quotidien ennuie, pèse, use, déprime. Alors on danse. Le présent effraie. On s'identifie aux pires situations. Alors qu'il n'y a ici ni guerre, ni épidémie, ni drame véritable, chacun broie du noir. Chacun toise son semblable. Tous les mêmes. Fort minables. Le nouveau clip à la mode confirme ce que j'avance ici.


Je rêve d'hommes - de femmes - qui me fassent rêver. D'inventeurs, de créateurs, d'idéalistes, d'utopistes. Je veux imaginer de nouvelles choses, dépasser la réalité, réinventer l'avenir. On comprendra bientôt que c'est là que se situe - précisément - la différence. Le conformisme est morose. Les réactionnaires sont populaires, les déclinistes plébiscités. C'est le moment de revenir au think different. C'est le moment d'avoir le cœur léger. C'est le moment d'y croire.

On me répondra peut-être que le mal est fait, que l'atmosphère moribonde - renforcée par la conjoncture économique - a rendu les hommes sinistres pour plusieurs générations. Mais je ne crois pas : je vois malgré tout, autour de moi, jour après jour, des gens qui continuent de se bouger les fesses pour faire avancer les choses. Des gens qui aiment rire et boire et manger. Des gens qui aiment la vie profondément et sont bien heureux ces derniers jours de voir les premiers rayons printaniers.

À défaut de réinventer le monde ce soir, je vous propose - en guise de conclusion - cet extrait du même Journal d'André Gide, qui fait sourire tout en faisant réfléchir (c'est, je crois, le propre des grandes phrases) :

Plus on a eu de difficulté à se procurer quelque chose, plus on y tient ; c'est la raison pour laquelle les sots sont si entêtés ; ils n'abandonnent volontiers aucune de leurs idées, parce qu'ils ont eu beaucoup de peine à les concevoir”. 

Commentaires

  1. Article criant de vérité...
    Les gens intelligents sont souvent perdus parce qu'ils comprennent qu'il n'y a pas d'issue sans changement, les autres agissent sans réfléchir, en pensant changer les choses.
    C'est ce sentiment qui retourne les tripes lorsque l'on lit ces auteurs dépeignant la société dans laquelle ils vivent, le manque de dynamisme et la morosité ambiante il y a de cela 40 ou 50 ans - et que rien n'a bougé, quand cela n'a pas empiré...
    "Il faut" mais personne ne fait car on nous prendrait pour des utopistes à vouloir modifier ce qui constitue ce quotidien si confortable ou pire encore on se retrouve à prêcher à des convertis, malgré les possibilités qui s'offrent à nous grâce aux technologies.
    Rendons-nous à l'évidence : il n'y a plus de penseurs, de vraie réflexion, car l'opinion publique considère que seuls des "spécialistes" sont en droit d'avoir un avis critique sur le monde - et ce malgré les apports de la technologie à la liberté d'expression et au partage des savoirs.

    Alors inventons demain sans oublier ce qui a été fait hier ou tomber dans le simple rejet...

    RépondreSupprimer
  2. Très bon article et très bon blog ;) bonne continuation.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup pour ce commentaire ! Revenez quand vous voulez. :)

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

L'image parle d'elle-même

35 % des Français interrogés par TNS Sofres  (en juin 2012) affirment avoir déjà posté plus de 100 photos en ligne. Un chiffre parmi d'autres, bien sûr, mais qui illustre assez bien notre époque : celle de la prééminence de l'image . La photographie avait déjà une place de choix dans les années 1980 ou 1990, c'est certain, mais elle est devenue une pièce maîtresse de la conversation .  L'image, élément de langage Comme le souligne très justement André Gunthert dans cet article  (que je vous recommande) : “ pour la première fois de son histoire, la photographie traditionnelle est devenue une pratique de niche au sein d'un univers plus vaste, structuré par les mobiles et les réseaux sociaux : l'image communicante ”. Et de rappeler qu'en France, en 2011, il se vendait 4,6 millions d'appareils photographiques (deux fois plus qu'à la fin des années 1990) contre 12 millions de smartphones. Le mobile et les réseaux sociaux sont de fait les

Remplacer “Week-End” par un mot français

T ous les lundis, on trouve des gens pour se plaindre . Et tous les vendredis, des gens pour se réjouir. C'est devenu habituel, commun, systématique. Des sites ont même été créés dans cet esprit.  http://estcequecestbientotleweekend.fr par exemple. Bien entendu, il y a des exceptions . Il y a des gens qui ne travaillent pas, ou des gens qui travaillent à temps partiel, voire des gens qui travaillent uniquement le week-end. Cela étant, on retrouve quand même ce rythme, éternel.  Ce qui est assez fou, quand on y pense, c'est que depuis le temps, personne n'a été capable en France de trouver un nom pour désigner le week-end . On utilise ce terme 150 fois par an, dans nos conversations, sans chercher à le remplacer par une expression made in France .  Bientôt le SamDim “Fin de semaine”, la traduction littérale de “week-end” désigne finalement le jeudi et le vendredi, dans le langage courant. Il faut donc trouver autre chose :  Je propose Samdim

Tu es mon amour depuis tant d'années

T u es mon amour depuis tant d'années, Mon vertige devant tant d'attente, Que rien ne peut vieillir, froidir ; Même ce qui attendait notre mort, Ou lentement sut nous combattre, Même ce qui nous est étranger, Et mes éclipses et mes retours. Fermée comme un volet de buis, Une extrême chance compacte Est notre chaîne de montagnes, Notre comprimante splendeur. Je dis chance, ô ma martelée ; Chacun de nous peut recevoir La part de mystère de l'autre Sans en répandre le secret ; Et la douleur qui vient d'ailleurs Trouve enfin sa séparation Dans la chair de notre unité, Trouve enfin sa route solaire Au centre de notre nuée Qu'elle déchire et recommence. Je dis chance comme je le sens. Tu as élevé le sommet Que devra franchir mon attente Quand demain disparaîtra. René Char