Je me souviens d'un après-midi à Lille, dans une salle de Sciences-Po, préparant un oral blanc. Pas n'importe lequel, d'ailleurs : celui que l'on appelle le Grand O. Étape indispensable, passage obligé, rite initiatique. Une trentaine de minutes pour démontrer ce que l'on vaut.
Nous étions cinq ou six, attablés à différents coins de la pièce, avec nos feuilles de brouillons jaunes ou mauves, nos stylos bic, et notre anxiété respective. Dans la même salle, un élève passait face à notre prof de sociologie. Pour ma part, je devais plancher sur le sujet suivant : “le travail et la réalisation de soi”. Ce souvenir est d'actualité, donc, puisque nous sommes aujourd'hui le 1er mai.
Jusqu'ici, tout va bien
Jusqu'ici, tout va bien
J'ai oublié ce que j'ai raconté ce jour-là. Sans doute en partie tout et n'importe quoi. C'est aussi ça, l'exercice : montrer que l'on peut s'exprimer sur n'importe quel sujet. Une amie présente dans la salle s'était amusé, ensuite, d'une formule que j'avais prononcée : “si l'on se réalise par le travail, cela signifierait que le travail rend réel ?”. C'est tout ce qui reste, sans doute, de mon passage à cet instant. Pas grand chose, par conséquent.
Je me souviens également de celui qui s'exprimait au moment où je devais, moi, préparer mon argumentation. Il avait cité dans son intro le film “La Haine”, et l'une des phrases récurrentes dans les premières minutes de cette fiction : “jusqu'ici, tout va bien”.
Je pense souvent à cela, depuis, mais d'une façon différente.
J'aime m'arrêter pour penser au chemin parcouru, à ce que j'ai fait, à ce que j'ai vécu, ce que j'ai découvert, aux personnes que j'ai récemment rencontrées, à celles qui ont pris d'autres routes, que j'ai perdu de vue. Je ne vis pas ma progression dans la vie comme une chute - vision trop pessimiste.
So good
Je préfère le titre d'un livre que j'ai feuilleté hier : intitulé So Far, il revenait sur les dix premières années d'Apple. Avec ce sous-titre : The First Ten Years of A Vision.
Pour moi, oui, jusqu'ici, tout va bien. Je suis heureux. Mais ce n'est pas un bonheur naïf, inconscient, une sérénité illusoire, une allégresse innocente, ce n'est pas une joie adolescente, prématurée. C'est un bonheur construit, avec le temps. C'est un bien-être que je souhaite durable.
Chateaubrian affirmait : “je n'ai point encore rencontré d'homme qui n'eût été trompé dans ses rêves de félicité”.
J'espère moi qu'il se trompait dans son analyse. Et qu'il se retournera dans son outre-tombe.
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