Accéder au contenu principal

Un matin

Dès le matin, par mes grand-routes coutumières
Qui traversent champs et vergers,
   Je suis parti clair et léger,
Le corps enveloppé de vent et de lumière.

Je vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux ;
C’est fête et joie en ma poitrine ;         
Que m’importent droits et doctrines,
Le caillou sonne et luit, sous mes talons poudreux ;

Je marche avec l’orgueil d’aimer l’air et la terre,
D’être immense et d’être fou
         Et de mêler le monde et tout
À cet enivrement de vie élémentaire.

Ô les pas voyageurs et clairs des anciens dieux !
Je m’enfouis dans l’herbe sombre
         Où les chênes versent leurs ombres
Et je baise les fleurs sur leurs bouches de feu.

Les bras fluides et doux des rivières m’accueillent 
Je me repose et je repars, 
        Avec mon guide : le hasard,
Par des sentiers sous bois dont je mâche les feuilles.

Il me semble jusqu’à ce jour n’avoir vécu 
Que pour mourir et non pour vivre :
         Oh quels tombeaux creusent les livres
Et que de fronts armés y descendent vaincus !

Dites, est-il vrai qu’hier il existât des choses,
Et que des yeux quotidiens 
        Aient regardé, avant les miens,
Se pavoiser les fruits et s’exalter les roses.

Pour la première fois, je vois les vents vermeils
Briller dans la mer des branchages, 
        Mon âme humaine n’a point d’âge ;
Tout est jeune, tout est nouveau, sous le soleil.

J’aime mes yeux, mes bras, mes mains, ma chair, mon torse
Et mes cheveux amples et blonds, 
        Et je voudrais, par mes poumons,
Boire l’espace entier pour en gonfler ma force.

Oh ces marches à travers bois, plaines, fossés, 
Où l’être chante et pleure et crie
         Et se dépense avec furie
Et s’enivre de soi ainsi qu’un insensé !

Émile Verhaeren

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'image parle d'elle-même

35 % des Français interrogés par TNS Sofres  (en juin 2012) affirment avoir déjà posté plus de 100 photos en ligne. Un chiffre parmi d'autres, bien sûr, mais qui illustre assez bien notre époque : celle de la prééminence de l'image . La photographie avait déjà une place de choix dans les années 1980 ou 1990, c'est certain, mais elle est devenue une pièce maîtresse de la conversation .  L'image, élément de langage Comme le souligne très justement André Gunthert dans cet article  (que je vous recommande) : “ pour la première fois de son histoire, la photographie traditionnelle est devenue une pratique de niche au sein d'un univers plus vaste, structuré par les mobiles et les réseaux sociaux : l'image communicante ”. Et de rappeler qu'en France, en 2011, il se vendait 4,6 millions d'appareils photographiques (deux fois plus qu'à la fin des années 1990) contre 12 millions de smartphones. Le mobile et les réseaux sociaux sont de fait les

Remplacer “Week-End” par un mot français

T ous les lundis, on trouve des gens pour se plaindre . Et tous les vendredis, des gens pour se réjouir. C'est devenu habituel, commun, systématique. Des sites ont même été créés dans cet esprit.  http://estcequecestbientotleweekend.fr par exemple. Bien entendu, il y a des exceptions . Il y a des gens qui ne travaillent pas, ou des gens qui travaillent à temps partiel, voire des gens qui travaillent uniquement le week-end. Cela étant, on retrouve quand même ce rythme, éternel.  Ce qui est assez fou, quand on y pense, c'est que depuis le temps, personne n'a été capable en France de trouver un nom pour désigner le week-end . On utilise ce terme 150 fois par an, dans nos conversations, sans chercher à le remplacer par une expression made in France .  Bientôt le SamDim “Fin de semaine”, la traduction littérale de “week-end” désigne finalement le jeudi et le vendredi, dans le langage courant. Il faut donc trouver autre chose :  Je propose Samdim

Réinventer : un impératif publicitaire

Pour exister aujourd'hui, une marque doit savoir se démarquer. Au-délà du jeu de mots, excellent par ailleurs, il y a une réalité pratique à laquelle il n'est plus possible d'échapper. Dans la foule de produits et de marques qui préexistent sur un marché, il faut savoir se distinguer pour pouvoir émerger et s'imposer durablement. Les agences de communication ont mesuré l'importance de ce postulat, et ont créé en conséquence leur propre modèle de distinction. Je vous propose de faire le point sur ces différents modèles, afin d'y voir un peu plus clair. Le modèle de disruption Commençons par la disruption . Ce mot peut faire peur de prime abord. Il irait très bien dans la chanson des Inconnus Vice et Versa . Mais ce modèle est très simple en vérité. Il a été inventé par Jean-Marie Dru et ses équipes de l'agence BDDP en 1991. La disruption consiste à sortir des sentiers battus, à créer un nouveau paradigme en inventant une nouvelle vision. Autrement dit, il