“L'inondation s'agrandissait. La campagne rase, les talus, les menus arbres désunis s'enfermaient dans des flaques dont quelques-unes en se joignant devenaient lac. Une alouette au ciel trop gris chantait. Des bulles çà et là brisaient la surface des eaux, à moins que ce ne fût quelque minuscule rongeur ou serpent s'échappant à la nage. La route encore restait intacte. Les abords d'un village se montraient. Résolus et heureux nous avancions. Dans notre errance il faisait beau. Je marchais entre Toi et cette Autre qui était Toi. Dans chacune de mes mains je tenais serré votre sein nu. Des villageois sur le pas de leur porte ou occupés à quelque besogne de planche nous saluaient avec faveur. Mes doigts leur cachaient votre merveille. En eussent-ils été choqués ? L'une de vous s'arrêta pour causer et pour sourire. Nous continuâmes. J'avais désormais la nature à ma droite et devant moi la route. Un bœuf au loin, en son milieu, nous précédait. La lyre de ses cornes, il me parut, tremblait. Je t'aimais. Mais je reprochais à celle qui était demeurée en chemin, parmi les habitants des maisons, de se montrer trop familière. Certes, elle ne pouvait figurer parmi nous que ton enfance attardée. Je me rendis à l'évidence. Au village la retiendraient l'école et cette façon qu'ont les communautés aguerries de temporiser avec le danger. Même celui d'inondation. Maintenant nous avions atteint l'orée de très vieux arbres et la solitude des souvenirs. Je voulus m'enquérir de ton nom éternel et chéri que mon âme avait oublié : “Je suis la Minutieuse.” La beauté des eaux profondes nous endormit.”
René Char
Commentaires
Enregistrer un commentaire