Je me suis rarement autant ennuyé qu'aujourd'hui, et ce n'est pas peu dire. Un ennui véritable, auquel j'aurais pu aisément échapper. Mais je l'ai laissé m'envahir, je n'ai pas voulu le fuir cette fois. L'ennui. Je commence à bien le connaître. Je sais quand il surgit, je sais quand il croît, et je sais ce qu'il amène avec lui : la paresse, la lassitude, d'éphémères illusions, aussi, et l'angoisse, enfin. Je sais comme il peut vite devenir poisseux.
C'est étrange. À l'heure où j'écris, j'ai le sentiment d'être le seul homme à vivre cet ennui. J'ai la conviction que tous mes « amis » s'amusent actuellement. Je n'imagine pas qu'ils puissent ressentir la même chose que moi. D'ailleurs, aucun ne m'écrit pour me le dire. Ils ne peuvent pas être tous aussi lâches que moi. Non, je pense qu'ils sont tous occupés, entourés, divertis. Je ressens leur absence, leur désintérêt pour moi. C'est aussi parce que l'ennui ne se sépare jamais de la solitude.
Je ne parviens pas à me figurer l'ennui des autres. Il existe pourtant - car d'autres en on parlé avant moi. Et mieux que moi, cela va de soi. Je pense à Pascal, par exemple. Dans son « fragment ». Le fragment 168-134 de sa pensée (que je préfère au singulier). Il me dit ce que je veux entendre, il me dit ce que je pense moi-même, ce que je ne peux pas m'empêcher de penser : « les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés pour se rendre heureux de n’y point penser ». Le divertissement, c'est tout ce qui nous éloigne de l'essentiel. Sans lui, la vie serait impossible sans doute. On ne peut se consacrer incessamment à l'essentiel.
Je m'ennuie. Il fait nuit. Nuit noire. Cette nuit me semble « la plus noire du monde ». Je suis au beau milieu d'une ville. Et personne ne fait attention à moi. Je suis seul. Je ne fais rien sinon écrire. J'improvise. Je m'en veux d'écrire. Je me juge. Je m'imagine être un autre et lire ces lignes, et m'en moquer. L'autre est un je - qui me méprise.
Je n'ai rien fait aujourd'hui. Rien de bien. Rien de beau. Rien d'utile. Rien. « Encore une journée où j'ai rien foutu ». J'ai perdu mon temps. J'ai mangé, j'ai bu. J'ai entendu la pluie tomber, et j'ai ouvert la fenêtre. Je n'ai pas « surfé » sur Internet, mais je m'y suis noyé. J'ai tenté d'y trouver des bouées, en vain. De manière compulsive, je suis allé sur ce blog, puis sur des sites d'information, puis sur d'autres blogs, puis sur facebook, puis sur Gmail, puis sur facebook, puis sur twitter, puis sur facebook, puis sur Gmail, puis sur ce blog, puis sur twitter, puis sur hotmail, puis sur Google, puis sur facebook, ad nauseam. Je finis sur ce blog.
J'ai voulu écrire à quelqu'un, un ami, Julie, un camarade, quelqu'un de ma famille. Ouvrir un dialogue. Mais je me suis retenu. Car cela aurait signifié avouer mon état, ma paresse, ma lassitude, mon angoisse, ma solitude. Et personne n'aime cela. Personne ne tient au fond à entendre ces discours. Car tout le monde sait qu'il s'agit simplement d'un moment ; un sale moment à passer. Et tout le monde préfère attendre que cela passe tout seul. Et peut-être est-ce mieux en fin de compte. Je ne sais pas. Toujours est-il qu'aujourd'hui, et ce soir, j'aurais aimé être ailleurs, avec quelqu'un, pour vivre un peu quelque chose de moins poisseux.
Bonne nuit. Demain, tout ira mieux, tu verras.
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